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libre et naturel des faits, sont toujours difficiles. Le progrès de la culture a été plutôt retardé qu’avancé par cette réforme prématurée ; le système de fermage a eu beaucoup de peine à prendre, faute de capitaux et de lumières. La population dépossédée est tombée dans une pauvreté plus grande encore, des passions violentes ont fermenté dans son sein et se sont fait jour de temps en temps par de sinistres explosions. À l’apparition du chartisme, le pays de Galles a été une de ses forteresses, et l’insurrection de paysans de 1843, bien connue sous le nom original de Rebecca et ses filles, montre que le mal s’est perpétué jusque bien près de nous.

Des hommes barbouillés de noir, sous la conduite d’un chef, déguisé en femme, qu’on appelait Rebecca, apparaissaient tout à coup la nuit sur les points les plus éloignés, brûlant les barrières des routes, démolissant les work-houses et menaçant dans leurs demeures les propriétaires et fermiers. D’autres fois, la prétendue femme-chef prenait le nom de miss Cromwell, fille aînée de Rebecca, et sous ce nom redouté, résurrection confuse des vieux souvenirs révolutionnaires, se signalait par les mêmes exploits que sa biblique mère. L’Angleterre s’amusa d’abord de ces scènes, moitié terribles, moitié grotesques, qui avaient de grandes analogies avec l’insurrection des demoiselles dans nos Pyrénées, il y a quelque vingt ans. La terreur devint, cependant si grande et si générale parmi ceux qui avaient quelque chose à perdre, qu’il fallut envoyer des troupes et nommer une commission d’enquête. Le calme se rétablit peu à peu, moitié de gré, moitié de force ; mais l’enquête rêvéla des faits pénibles, qui témoignaient d’une véritable détresse parmi les populations agricoles. — Voulez-vous savoir ce que c’est que Rebecca ? répondaient les paysans gallois quand on les interrogeait sur leur chef ; Rebecca, c’est la misère. Et en effet Rebecca n’était pour eux que l’expression symbolique de leurs griefs contre la domination anglaise. Partout dans leurs réponses on sent percer le ressentiment vague d’une nationalité opprimée. Tantôt c’est l’église anglicane dont les dîmes les écrasent, tantôt c’est le propriétaire anglais, le régisseur anglais, qu’ils regardent comme des étrangers vivant à leurs dépens. On y retrouve un écho affaibli des plaintes de leurs frères les Irlandais. Il eût mieux valu respecter leurs coutumes nationales, leur laisser leurs petites propriétés, comme on a sagement fait ailleurs, et renoncer à importer parmi eux l’organisation anglaise[1].

Heureusement le progrès continu de l’exploitation des mines et carrières a fini par atténuer ces souffrances, en donnant de l’occupation aux bras surabondans ; le pays de Galles fournit maintenant à lui

  1. Voyez, pour plus de détails sur Rebecca et ses filles, la Revue du 15 septembre 1843.