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plus sinistres excès, elle traduisait en actes des ressentimens qui couvaient dans une partie des classes élevées. Après la révolution de février, l’agitation, un moment répandue dans la ville, ne puisait pas son principal élément de force matérielle dans le sein des travailleurs de l’industrie ; elle avait surtout pour appui la corporation des portefaix, justement renommés ici pour leur humeur bruyante, et dont quelques-uns furent alors promus aux fonctions municipales. Comme les rapports qui naissent du travail n’avaient pas été altérés dans l’esprit des masses, le foyer de l’agitation se refroidit assez rapidement.

La secousse, qui fut un peu plus longue à Marseille et à Toulon, s’y révéla par un autre signe, — le désir des ouvriers de s’affranchir de toute obéissance envers leurs chefs. L’action collective supposant nécessairement une hiérarchie, rien n’était plus vain qu’un pareil entraînement : il avait pour inévitable résultat de paralyser le travail en rendant incertain l’accomplissement des taches individuelles. Le désordre industriel finit par amener à Marseille une lutte armée sous le retentissement de l’insurrection parisienne du mois de juin. Un très petit nombre des ouvriers des fabriques prit part à cette triste émeute, qui fut promptement comprimée. À Toulon, l’autorité réelle fut un instant assumée par les ouvriers du port, organisés en garde nationale. Impatiens de tout frein, ils voulaient commander à leur tour : ils chômaient en masse quand cela leur convenait ; mais aucun but défini ne répondait à ces manifestations désordonnées. Aussi, dès que les excitations venant du dehors furent un peu contenues, dès que le pouvoir central reconstitué put soutenir l’action de ses représentans, l’arsenal maritime rentra peu à peu dans l’ordre accoutumé.

Les événemens de décembre 1851 n’excitèrent de soulèvement ni à Toulon, ni à Marseille, ni dans les autres villes de la Provence. Il y eut cependant alors dans cette contrée, on s’en souvient, une explosion terrible, qui témoignait que le sol avait été miné dès longtemps ; mais d’où partit cet éclat ? Où les passions sauvages qui s’attaquaient au principe même de la civilisation chrétienne avaient-elles leur foyer ? Disons-le : dans la Provence, comme dans le Languedoc et dans le reste de la France, le drapeau de cette insurrection ne fut pas arboré par les ouvriers des industries manufacturières concentrées dans les grandes villes. Ce fut une partie de nos populations rurales les plus étrangères au mouvement intellectuel du pays qui parut surtout en proie à des aveuglemens sans nom. En face de cet irrécusable témoignage des faits, nous pouvons répéter ici avec une entière confiance que, dans les temps où nous sommes, le développement des intelligences populaires est le meilleur rempart qu’on puisse donner à l’ordre social. Nous avons vu quels secours étaient assurés à ce développement dans nos principales cités industrielles ;