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détend toujours. Peut-être, à force d’y rêver, ai-je trouvé le moyen de l’aider à sortir de la détresse qui le tue. Enfin je ne sais, mais quelque chose me dit que je ne lui serai pas tout à fait inutile. Je frémis quand je pense qu’un moment de désespoir a coûté la vie à ce pauvre Mairobert, qui avait mille voies pour se relever avec éclat du mal que lui causait un jugement un peu léger peut-être[1]. Il avait demandé à me voir ; il avait, disait-il, besoin de mes conseils. Sans savoir quelle était sa peine, je lui avais écrit qu’il serait toujours le bien-venu, car je le connaissais depuis vingt ans pour mauvaise tête et galant homme. L’arrêt du parlement est sorti soudainement ; il s’est tué. S’il ne méritait pas son jugement, il a mal fait de quitter la vie : on revient de tout avec du courage et de la patience ; s’il était coupable, je lui pardonne : on ne survit pas à la honte méritée.

« Ici le cas est très différent ; mais ce Mairobert m’a jeté du noir dans l’âme, je n’aime pas qu’un infortuné souffre sans communiquer ses peines : on ne sait jusqu’où la tête en cet état peut s’exalter. Encore un coup, madame, envoyez-moi votre ami, que je le voie, qu’il m’entende ! Et, s’il est possible, nous parviendrons à le sauver par la réunion de ses efforts et des miens.

« J’ai l’honneur d’être avec respect, etc.,

« Caron de Beaumarchais. »


Dorat se présente enfin chez l’homme généreux qui lui tend la main si cordialement, et le ton de sa lettre à Beaumarchais, après les épanchemens de cette première entrevue, nous donnera une idée de la délicatesse avec laquelle l’auteur du Barbier de Séville savait encourager et secourir ceux qui lui inspiraient de l’intérêt :


« Ce 12 avril 1779.

« Monsieur et cher ami, lui écrit Dorat (après vos procédés avec moi, permettez que je vous donne ce titre), quel plaisir j’éprouve à vous assurer que je suis sorti de chez vous avec un poids énorme de moins, pénétré de la plus douce reconnaissance, et consolé pour la première fois depuis trois ans que je lutte avec un courage intérieur bien pénible contre toutes les crises de ma situation ! Il n’y avait sans doute que vous au monde qui pouviez m’en tirer ; quand on m’a prononcé votre nom, il m’a tranquillisé. La même force d’âme qui vous a fait terrasser tous vos ennemis s’est tournée en sensibilité pour les malheureux, et je m’applaudis, à travers vos talens si brillans et si aimables à la fois, d’avoir démêlé vos vertus. Je vous dis tout ce que mon âme, que vous avez soulagée et qui s’épanche librement avec vous, m’inspire de sentimens vrais sur votre compte ; c’est une jouissance pour moi d’avoir des raisons d’aimer ce que j’ai toujours estimé. Vous m’avez demandé l’état actuel de mes affaires, le voici : je dois à peu près soixante mille francs ; pour la moitié, j’obtiendrai du temps ; mais mon honneur, mon repos, ma santé, disons tout, ma vie, demandent que je paie le reste dans le cours d’un an ou de quinze mois, à différentes époques : tous les engagemens que je prendrai

  1. Ce Mairobert était un écrivain assez bien posé, et de plus censeur royal, qui, se voyant impliqué, dit Grimm, d’une manière déshonorante dans la discussion des intérêts du marquis de Brunoy, venait de s’ouvrir les veines dans un bain chaud.