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qu’un avait le droit de se plaindre, c’était la France, dont on paraissait n’avoir admis les titres que pour les méconnaître, en confirmant de la façon la plus solennelle, sauf d’insignifiantes restitutions faites aux Latins, les religieux grecs dans tous les avantages que leurs adversaires leur contestaient, en principe du moins. Nous avons même de bonnes raisons de croire que les deux documens émanés de la Porte avaient été préalablement communiqués à la légation de Russie, ce qui ne rend que plus inexplicable encore la colère après coup du cabinet de Saint-Pétersbourg. On a prétendu, il est vrai, que les catholiques n’avaient reçu une clef que sous la réserve expresse de ne pas s’en servir, et qu’ils ne pouvaient entrer dans le tombeau de la Vierge qu’à la condition de ne pas y prier selon les exigences de leur culte. C’est là l’origine de toute l’affaire, et le texte turc, à ce qu’il semble, se prêtait à deux interprétations différentes : l’une sensée, naturelle, nous allions dire honnête, et qui nous donnait ce que nous pensions avoir obtenu ; l’autre forcée, abusive, qui nous refusait tout et faisait du succès de M. de La Valette une véritable mystification. La Porte, appelée à se prononcer, ne put avouer qu’elle nous avait trompés ; à Saint-Pétersbourg, aussitôt on l’accusa de mauvaise foi, et M. le prince Menchikof partit pour Constantinople. Le gouvernement français, qui avait déjà donné spontanément à la Russie toutes les explications désirables, comprit à l’instant même la portée de cette mission extraordinaire, et les brusques façons de l’ambassadeur russe à son arrivée lui causèrent moins de surprise qu’aux autres cabinets. Notre escadre d’évolutions, en sentinelle vigilante, se tenait bientôt après dans la baie de Salamine pour le compte de l’Europe endormie et presque railleuse. À Vienne, où l’on nous conteste sourdement notre protectorat religieux, on n’était pas très peiné de l’échec subi par le catholicisme en notre personne. Les puissances d’Italie, la cour de Rome exceptée, étaient plus que froides ; l’Espagne seule nous avait loyalement appuyés de ses vœux. En Angleterre, on se moquait franchement de notre ferveur, empruntée au xiie siècle. Partout enfin on se disait : Que nous fait cette querelle de moines ?

Nous étions donc isolés à Constantinople, et il fallait certainement que notre cause fût bien juste, car le prince Menchikof n’exigea le retrait d’aucune des concessions qui nous avaient été faites ; seulement il en demanda d’autres, et parmi elles la restauration de la coupole de l’église du Saint-Sépulcre, à l’exclusion des Latins, ce qui était un triomphe pour le rite grec. On pouvait croire tout fini : nous n’avions rien rendu, il est vrai, et c’était beaucoup ; mais les Russes avaient obtenu de larges compensations, et à ce propos on ne nous épargnait guère, quand on apprit tout à coup que le prince Menchikof ne s’était pas dérangé pour si peu, et qu’il proposait au sultan, en le menaçant d’une rupture des relations diplomatiques eu cas de refus, de céder dans les vingt-quatre heures à l’empereur de Russie la moitié de sa souveraineté sur ses sujets chrétiens. La rumeur fut grande en Europe ; on ne nous blâmait plus d’avoir été à Salamine, et les escadres réunies de la France et de l’Angleterre se portèrent à Besika, à l’entrée des Dardanelles. Le même jour à peu près les troupes russes passaient le Pruth, et le cabinet de Saint-Pétersbourg annonçait par un manifeste que son armée n’évacuerait les principautés que lorsque la Porte aurait accepté l’ultimatum du prince Menchikof. En vain le sultan publiait-il firmans sur firmans, en vain recherchait-il les moyens les plus propres à