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explorations dans ces contrées mystérieuses, et d’y faire recueillir le plus de renseignemens possible sur la population et le climat. D’intrépides officiers, sachant la langue des Tcherkesses, prenaient le costume du pays et se lançaient hardiment au milieu des sanglantes aventures. Déjà plus d’un était parti et n’était pas revenu. M. de Turnau ne se laissa pas décourager. Il fit ses préparatifs avec autant d’adresse que de résolution. Il apprit d’abord la langue des Ubiches, il donna à son teint une couleur brune et olivâtre, il tailla sa barbe à la façon des Tcherkesses, il s’exerça à porter leur costume et à manier leurs armes. Un homme du pays, gagné à prix d’or, devait lui servir de guide. Tout réussit pendant quelques semaines : M. de Turnau avait déjà visité plusieurs tribus, lorsqu’un chef plus soupçonneux que les autres arracha au guide son secret et jeta dans un cachot l’audacieux envoyé du tsar. Les Ubiches sont cupides; ils demandèrent tout un bonnet circassien rempli de roubles pour la rançon de l’officier. Le gouvernement russe pensa qu’il était imprudent d’accoutumer les Caucasiens à battre ainsi monnaie, et que d’ailleurs M. de Turnau pourrait utiliser sa captivité dans l’intérêt de sa mission; il serait toujours temps de le racheter plus tard. Victime de ces calculs si cruellement égoïstes, le pauvre officier était menacé de mourir dans un souterrain humide, lorsqu’un jour, après de longs mois de souffrance, abattu, amaigri, désespéré, il fut sauvé tout à coup par un incident inattendu. Le chef qui retenait M. de Turnau avait insulté un de ses serviteurs. Celui-ci, pour se venger, résolut d’enlever à son maître l’esclave précieusement gardé comme une mine d’or. Il lui ouvrit pendant la nuit les portes du souterrain, et tous deux partirent au galop sur les meilleurs chevaux du chef. Ces sortes d’histoires, à ce qu’on assure, ne sont pas rares chez les Tcherkesses. Il y a un touchant poème de Pouchkine, le Prisonnier du Caucase, où le Moscovite est délivré par la jeune Circassienne qui l’aime, comme Chactas par Atala. Chez les Ubiches, les drames sont moins poétiques. De tous les étrangers qui ont visité ces sauvages, M. Stanislas Bell et M. le baron de Turnau sont les seuls qui aient échappé à la mort.

Les Ossètes sont plus connus que les Ubiches; malgré leur férocité brutale, ils sont moins portés à la guerre, et la Russie, grâce à certains ménagemens, n’a point à redouter leurs attaques. Les voyageurs peuvent aussi visiter le pays des Ossètes, en prenant, bien entendu, d’indispensables précautions. On vantait beaucoup trop autrefois l’hospitalité de cette peuplade. L’étranger n’a rien à craindre tant qu’il habite sous le toit de son hôte; mais, dès qu’il a quitté le seuil, il redevient une proie, et l’hôte lui-même regorgerait sans pitié à quelques pas de cette demeure où il vient de lui faire fête. Au reste, une faible escorte de gens du pays est une sauvegarde