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Europe, survient et abat cinquante mètres du mur de façade, malheur irréparable en ce moment, car tous les obstacles s’accumulaient. Un subside de 60,000 francs avait été promis par le gouvernement; mais des formalités de bureaux, ou je ne sais quelle autre cause, arrêtaient l’envoi des fonds. Un emprunt que s’était imposé la maison mère manquait par suite de l’intervention d’une autorité ecclésiastique qui voyait là une entreprise téméraire et d’un succès peu assuré : plus de ressources d’aucun côté; tous les religieux malades; les travaux de l’année détruits, et une caisse où il n’y avait même plus de quoi payer aux ouvriers la semaine commencée.

Alors le père prieur songea à ramener en France les débris de sa communauté, déjà à moitié renouvelée par les renforts que lui avaient envoyés diverses maisons de l’ordre. Le maréchal s’opposa à cette pensée. Il y a aux archives de Staouéli la copie d’une lettre magnifique qu’il écrivit à l’autorité qui avait empêché l’emprunt. Rien de simple, de digne et en même temps d’éloquent comme ce morceau. Les communautés ne meurent pas, et le temps viendra sans doute où l’histoire ecclésiastique de l’Algérie pourra recueillir bien des pièces intéressantes que toutes les convenances du moment retiennent dans l’ombre des archives. J’en donne dès à présent l’avis aux futurs historiens de l’Algérie, aux biographes du maréchal Bugeaud et aux chroniqueurs des maisons de l’ordre de Saint-Benoît, si jamais cet écrit doit tomber un jour à venir dans les mains des mis ou des autres. On battit monnaie comme on put, la maison royale envoya quelques dons; mais cela ne pourvoyait à rien qu’au besoin du jour, et les grandes difficultés continuaient de subsister. Le maréchal allait partir pour la France. Il dit au père prieur : « Venez avec moi; je me charge de votre affaire près du ministère, et vous vous arrangerez de votre côté avec les maisons de votre ordre. Le gouvernement vous y appuiera. »

Le révérend père, quoique malade, consentait bien à partir, mais en emmenant ses religieux; car comment les abandonner dans l’état où ils étaient tous, alités, sans ressources, et au milieu de ces difficultés de la fondation qui réclamaient à chaque instant la présence et la parole du chef ? Le colonel Marengo s’en chargea. — Partez, lui dit-il, mon révérend père; ce sera moi qui vous remplacerai. Tous vos religieux sont malades, je les soignerai, et rien ne leur manquera. Je dirigerai vos travaux, et quant à l’argent, n’en ayez aucun souci : je sais où le prendre.

Il n’y avait pas à hésiter. Le révérend père partit donc avec le maréchal. Son voyage fut heureux : il ramena des religieux et de l’argent. Les travaux purent continuer et les avances du colonel être remboursées. Peu de temps après, la communauté eut enfin son installation complète, à part le cloître, qui ne fut fait qu’en 1846. Les tribulations ne touchaient pas cependant à leur terme. Les récoltes nulles de 1845 et de 1846, la récolte plus que médiocre de 1847, ne permirent pas aux trappistes de trouver leur subsistance dans les produits de leur travail. Le gouvernement, tout en leur continuant les prestations de vivres, les menaçait à chaque instant de les leur retirer, même en ne les fournissant qu’à titre d’avance. Le duc d’Aumale, pour sa bienvenue, leur accorda un répit, et la république également. Ce ne fut donc que la récolte de 1848 qui les remit à flot et les émancipa. Jusque-là ils continuèrent