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de querelles il y avait dans cette circonstance seulement. En outre, l’intendance militaire se réservait naturellement le droit de ne pas recevoir les yeux fermés tous les foins qui lui seraient présentés : elle rejetait, et c’était son devoir comme son droit, ceux qui, par leur mauvaise qualité, n’auraient pu lui être d’aucun usage; mais le refus d’une charretée de foin, c’était souvent la ruine d’un. malheureux qui n’avait pas d’autre ressource, et qui allait avoir à payer les frais d’un transport inutile. De là des scènes de désespoir, des récriminations violentes, et pour le bien qu’elle avait voulu faire, l’autorité se trouvait comblée de malédictions.

Nous retrouvâmes dans la plaine le même concert de plaintes que dans le Sahel. L’administration était pire que le sirocco, pire que la sécheresse et les sauterelles : c’est en ces termes que l’on s’exprimait. Et cependant le maréchal Bugeaud était plein de sollicitude pour la colonisation, qu’il aimait comme son œuvre propre; M. le comte Guyot, directeur de l’intérieur et de la colonisation, avait épousé avec une ardeur infatigable et un dévoûment sans bornes la tâche de réaliser cette œuvre; mais la donnée première, consistant à concentrer toute la vie dans le gouvernement et à ne laisser au pays qu’une vie artificielle qui lui était infusée et mesurée par voie administrative, cette donnée était fausse. Que pouvait-on contre une donnée fausse ? Néanmoins l’effort de volonté fut tel que la vie finit par pénétrer dans ce spectre galvanisé, et il a été plus fait alors en trois ans pour l’installation de la colonisation en Algérie qu’il n’a été fait dans les dix années qui se sont écoulées depuis. C’est que malheureusement le maréchal a été remplacé et que ses idées ne l’ont pas été; lui seul pouvait quelque chose contre ses idées.

A Joinville, nous retrouvâmes aussi les plaintes sur les eaux : non pas qu’elles manquassent, car il y avait au contraire de belles eaux courantes; mais elles couraient à ciel ouvert et arrivaient à Joinville après avoir traversé les jardins de Blida, où elles se chargeaient de détritus végétaux et animaux qui les rendaient insalubres. Les fièvres sévissaient, et on les attribuait en partie à cette cause, ce qui fournissait un chapitre de plus aux griefs. Enfin là aussi on se plaignait d’être séparé de Dieu après avoir été abandonné des hommes. Un colon, arrivé à Joinville avec 4,800 francs et neuf enfans, dont six seulement survivaient, me disait, non sans quelque amertume : — point d’église! point d’école! nous sommes comme des animaux. Un vicaire de Blida ne pourrait-il pas du moins venir ici ? Si nous avions une chapelle, si nous avions une clochette, on pourrait se rappeler comment on a été élevé.

Les villages du pied de l’Atlas appartiennent tous à la fondation de l’administration civile. Les habitans ont reçu pour 800 francs de matériaux et les mêmes secours que les autres colons; mais on ne leur a pas fait de défrichemens, leur sol ne leur opposant pas les mêmes obstacles que celui du Sahel. Les broussailles de la plaine ne se composent en effet que d’arbustes, tels que le jujubier, le lentisque, le chêne vert, bien moins difficiles à extirper que le palmier nain, et donnant en outre un produit immédiat comme combustibles. Le village de Joinville se composait de 50 concessions, réparties entre 35 concessionnaires. 14 de ces concessions avaient déjà subi, en 1847, une, deux et jusqu’à trois mutations, ce qui indiquait du malaise et une grande instabilité dans près de la moitié de la population. Pendant les trois premières années en effet, ces colons n’avaient pu vivre que du produit de leurs