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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/76

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qui amenèrent Warburton à développer sa profession de foi. Il impatienta Bolingbroke, qui répondit avec vivacité, et il s’ensuivit une assez chaude dispute qui laissa Pope fort agité, car il était obligé d’être de l’avis de tous les deux, l’un étant son maître, l’autre son apologiste; l’un pensant pour lui, l’autre répondant pour lui.

Au printemps qui suivit. Pope, chaque jour plus faible, sentit sa fin prochaine. Bolingbroke vint à Twickenham et n’en sortit presque plus. Ses tendres soins pour son ami touchèrent les assistans. Il était, le 21 mai, près du fauteuil du malade sans connaissance. Sa douleur lui arrachait des larmes. Il s’écriait : « O grand Dieu! qu’est-ce que l’homme ? » Puis il le regardait, il répétait ces paroles, et des sanglots l’interrompaient. Quelqu’un remarqua que Pope, lorsqu’il reprenait ses sens, avait toujours à dire quelque chose d’affectueux. « De ma vie, répondit-il, je n’ai vu un homme qui eût le cœur aussi tendre pour ses amis et une affection plus générale pour l’humanité; voilà trente ans que je le connais, et je m’estime plus pour l’amitié de cet homme que... que... » Sa voix faiblit, et il laissa en pleurant tomber sa tête dans ses mains. Pendant son absence. Pope, qui était catholique, consentit à voir un prêtre, parce que, dit-il, cela serait convenable (it would look right). Après avoir reçu les sacremens, il dit : « Rien n’est méritoire que la vertu et l’amitié, et encore l’amitié elle-même n’est-elle qu’une partie de la vertu. » Lorsque Bolingbroke revint à Battersea, on assure qu’il fut très irrité qu’un prêtre eût été appelé; mais Hooke lui répéta à dîner la parole de Pope. ;i Oui sûrement, s’écria-t-il, c’est là tout le devoir de l’homme. » Pope mourut le 30 mai, en laissant par son testament à Bolingbroke quelques livres comme marque de souvenir, et tous ses manuscrits.

Il est difficile de ne pas voir dans tous ces détails, transmis par des témoins, les preuves d’une véritable amitié. Bolingbroke, il faut bien lui rendre cette justice, ne savait pas dissimuler sa malveillance, et cependant il avait à peine fermé les yeux de Pope, qu’il devait montrer envers sa mémoire des sentimens fort différens de ceux qu’il lui témoignait pendant sa vie. Quelques années auparavant, il l’avait chargé de faire imprimer pour quelques amis un petit nombre d’exemplaires du Roi patriote. Peu après la mort de Pope, un imprimeur vint lui dire qu’il avait, par son ordre, tiré de l’ouvrage quinze cents exemplaires, lui offrant de les lui remettre comme au légitime propriétaire. Bolingbroke fit aussitôt allumer un grand feu sur la terrasse de Battersea et brûler jusqu’à la dernière feuille; mais sa colère ne s’arrêta pas là. Il avait eu déjà à reprocher à Pope ce qu’il regardait comme des abus de confiance. Lorsqu’il lui avait antérieurement donné ses Lettres sur l’histoire, Pope les avait montrées à Warburton, qui lui dit que les argumens contre la Bible n’avaient rien d’original, et écrivit quelques pages de réfutation qui furent