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que venait de lui faire le prince Menchikof, il quitterait le ministère[1].

Les choses en étaient là lorsque, le 5 avril, l’ambassadeur d’Angleterre, lord Stratford de Redcliffe, arriva à Constantinople. Il y précéda de quelques jours le nouvel ambassadeur français, M. de Lacour.

Je ne commets d’injustice envers personne, et je ne serai démenti par aucun de ceux qui ont lu toute la correspondance politique relative à la crise orientale, en disant que parmi les diplomates qui ont pris part à ces difficiles transactions, la première place appartient à lord Stratford de Redcliffe. La connaissance approfondie des hommes et des choses de la Turquie, l’intelligence des intérêts de son pays et le coup d’œil sûr du patriotisme, la prudence unie à l’énergie, la perception vive et claire des difficultés, l’esprit de ressources qui trouve les expédiens, la résolution prompte et l’exécution rapide qui les appliquent à temps, la hauteur et la vigueur du caractère, lord Stratford a déployé toutes ces qualités avec une rare distinction, et, il faut le reconnaître, c’est un honneur et un bonheur pour l’Angleterre, que sa politique, en un moment si critique, ait été représentée à Constantinople par un pareil homme d’état.

Lord Stratford ne fut ni surpris ni décontenancé par la situation qui l’attendait. Il vit le lendemain de son arrivée le grand-visir et le reis-effendi. À travers leurs aveux et leurs réticences, il démêla la situation vraie. Il y avait dans le langage tenu à la Porte par la Russie un mélange de plaintes amères et d’amicales assurances, des demandes formelles relatives aux lieux-saints, l’indication de vues ultérieures, et sur le tout un ton général d’insistance qui frisait l’intimidation. Le sultan n’avait pas répondu comme son père aux offres et aux démarches amicales du tsar ; il se laissait trop influencer par des puissances mal intentionnées pour la Russie ; il avait manqué récemment aux égards dus à l’empereur : voilà pour le chapitre des plaintes. — Les assurances amicales s’exprimaient par le désir de maintenir l’empire turc et de renouveler les relations cordiales qui, disait-on, avaient autrefois tant profité à la Porte. Les demandes relatives aux lieux-saints portaient sur la confirmation du statu quo au moyen d’une convention écrite, sans rien retirer cependant des privilèges récemment accordés aux Latins. Quant aux indications sur les vues ultérieures, elles étaient à la fois vagues et menaçantes. Le prince Menchikof avait commencé par sonder la Porte sur un traité d’alliance défensive avec la Russie ; puis, ne recevant

  1. Colonel Rose to the earl of Clarendon, april 1, 1853. Corresp., part I, n° 136, inclosure 1.