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plus de villages que les rois eux-mêmes. Le produit de ces biens servait à l’entretien du temple; on comptait dans les pagodes autant d’officiers que dans le palais d’un prince; on y voyait aussi des éléphans. L’idole placée au milieu du dôme, qui est comme le chœur du temple, avait une cour vraiment royale. En 1831, quand le gouvernement anglais fit une enquête sur l’administration intérieure de Ceylan, il fut reconnu, d’après l’examen des registres, que les « tenanciers et propriétaires de terres appelées terres du temple en certaines provinces étaient tenus, sur la réquisition des supérieurs et des religieux, à diverses prestations, et obligés de payer des contributions de divers genres. » A chaque tenancier était assignée une redevance particulière, en nature ou en argent, destinée à l’entretien et à la réparation des pagodes, à la nourriture des employés du couvent, aux dépenses des fêtes religieuses. Il ne faut pas perdre de vue que les monastères bouddhiques sont aussi des temples. Ces dotations, dont les revenus ont été toujours en augmentant par suite de l’amélioration des terres et d’une bonne administration, représentaient, à vrai dire, le budget du culte à Ceylan[1].

Les religieux, tout riches qu’ils sont, habitent de petites cabanes faites de claies de branchages dont on a rempli les intervalles avec de la terre; des nattes de paille ou des feuilles de palmier leur servent de toit. Ils ne se sont donc pas trop éloignés des antiques prescriptions qui obligeaient l’ascète à vivre en plein air, sans aucun abri, au sein de la forêt. Un ancien sage avait énuméré huit raisons pour lesquelles il ne convenait pas à un religieux de vivre dans une maison : « Une maison demande beaucoup de travail à bâtir; — elle exige beaucoup de réparations ; — un personnage plus élevé en dignité peut la réclamer pour lui; — il se peut que les habitans en soient nombreux; — le séjour qu’on y fait amollit les corps; — il porte à commettre de mauvaises actions;. — il provoque dans l’esprit cette pensée de convoitise : ceci est à moi! — enfin il s’y trouve des insectes de tout genre. » Le sage qui avait découvert ces grandes et importantes vérités se décida à vivre sous un arbre, et cela pour dix motifs aussi méthodiquement déduits que les causes pour lesquelles il renonçait à habiter une maison. — Quoi de plus facile à rencontrer qu’un arbre ? il n’appartient à personne; — en voyant tomber les feuilles, on pense à la mort, etc. — Comment il prétendait pourvoir à sa nourriture, ce penseur a oublié de le dire, et l’obligation de recueillir des alimens, en quêtant aux portes des maisons, est précisément ce qui a conduit les ascètes à vivre dans des demeures fixes, comme aussi à se rapprocher des lieux habités.

  1. On trouve aussi à Ceylan un certain nombre de couvens qui ne possèdent absolument rien, et où les religieux parvenus à l’extrême vieillesse sont exposés aux plus dures privations.