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agricole et catholique, toutes les difficultés fondamentales s’en vont avec elle. Avant 1847, les protestans ne formaient que le cinquième de la population totale, ils vont être bientôt près de la moitié; la population rurale était de 60 habitans par hectare, elle ne va plus être que de 30, comme en Angleterre, et les contrées les plus sauvages, les plus indomptées, comme le Connaught, après avoir été les plus dévastées par la famine, sont celles où l’exode emporte le plus de monde. On peut dire dès à présent que l’état de guerre n’existe plus; la nation irlandaise a quitté la partie. Ceux qui restent ne sont plus assez nombreux, ni pour soutenir la lutte, ni pour donner de grands embarras par leurs besoins. On sent déjà l’apaisement général à un fait remarquable : ce qu’on appelait les crimes agraires (agrarian outrages) ont cessé, et la sécurité est maintenant aussi grande en Irlande qu’en Angleterre. Dieu a pris le redoutable moyen dont parle Tacite, il a fait la paix par la solitude.

Ce qui était impossible en économie rurale devient désormais facile. La trop grande division des exploitations n’est plus une nécessité. Au lieu de 700,000 fermes, de huit hectares en moyenne, on peut, on doit n’en avoir que la moitié, et conséquemment d’une étendue double. Où deux familles de cultivateurs ne pouvaient pas vivre, une peut désormais prospérer. La pomme de terre et l’avoine, qui avaient pris une extension démesurée, peuvent se réduire dans de plus justes limites. Les besoins du présent étant moins urgens, on peut songer davantage à l’avenir; l’assolement quadriennal peut s’étendre, et avec lui la richesse rurale, dont il est le symbole. Les prés et pâturages, jusqu’ici trop négligés, commencent à recevoir les soins qu’ils réclament, et qu’ils doivent payer au centuple. L’Irlande redeviendra ce qu’elle n’aurait dû jamais cesser d’être. L’île verte par excellence, c’est-à-dire le plus beau pays d’herbages du monde. Les animaux, dont on ne s’occupait pas assez, parce que les hommes ne pouvaient pas parvenir à se nourrir eux-mêmes, vont recevoir une alimentation plus abondante. On peut enfin reprendre la culture par le commencement au lieu de s’acharner à rechercher les effets sans les causes, améliorer au lieu d’épuiser. La surabondance des bras n’avilissant plus les salaires, le travail devient plus productif et mieux rétribué, et pourvu que l’impulsion industrielle et commerciale qui se fait sentir depuis quelques années se maintienne et s’accroisse, l’encombrement des campagnes n’est plus à craindre, quand même la population reprendrait son ancien niveau.

Les Anglais espèrent profiter de cette situation nouvelle pour introduire en Irlande la grande culture. Ils y réussiront sans nul doute dans une certaine mesure; mais il ne parait pas qu’elle doive devenir l’état général du pays. La grande culture suppose ce qui manque