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seront des hordes, et moi, je m’aperçois que je suis un bavard ; c’est là le défaut de mon âge. Salut et gratitude.

Caron-Beaumarchais. »


Dans cette correspondance de sa vieillesse, Beaumarchais ne semble pas toujours animé d’un enthousiasme très vif pour les institutions républicaines. Cependant quelques lettres intimes annonceraient chez lui un certain goût pour le régime nouveau, si ce penchant n’était trop souvent contrarié par les fourberies et les violences des partis les uns à l’égard des autres. Il a assisté, par exemple, à un dîner de patriotes dont l’assemblage est un peu bizarre, et il rend compte de ses impressions à un de ses amis par la lettre suivante, en date du 24 germinal an V :


« Je fis hier, mon Charles, un dîner dont le souvenir marquera longtemps dans ma mémoire par le choix précieux des convives que notre ami Dumas (le général Matthieu Dumas) avait rassemblés chez son frère. Jadis, quand je dînais chez les grands de l’état, j’étais toujours choqué du ramassis de gens de tous les caractères que la seule naissance faisait admettre. Des sots de qualité, des imbéciles en place, des hommes vains de leurs richesses, de jeunes impudens, des coquettes, etc. Si ce n’était pas l’arche du bon Noé, c’était au moins la cour du roi Pétaut ; mais hier, sur vingt-quatre personnes attablées, il n’y en avait pas une qu’un grand mérite personnel n’eût mise au poste qu’elle occupe. C’était, si je puis dire ainsi, un excellent extrait de la république française, et moi, silencieux, je les regardais tous en appliquant à chacun d’eux le grand mérite qui les distingue. Voici leurs noms.

« Le général Moreau, vainqueur à Biberach, etc., et qui a fait la superbe retraite qu’on sait.

« Le ministre de l’intérieur Bénezech, que la voix publique appelle au directoire.

« Boissy d’Anglas, dont quarante-deux départemens se sont disputé l’honneur de la réélection, et qui vient d’être encore réélu.

« Petiot, ministre de la guerre, que tous les militaires honorent.

« Lebrun, l’un des hommes les plus forts du conseil des anciens.

« Siméon, très grand jurisconsulte du conseil des cinq-cents.

« Tronçon du Coudray, du conseil des anciens, l’un des plus éloquens appuis qu’aient les infortunés.

« Dumas de Saint-Fulcran, chez lequel nous dînions, l’un des chefs les plus estimés des subsistances militaires.

« Lemérer, du conseil des anciens, l’un des soutiens de la constitution contre les anarchistes.

« Le général Sauviac, grand homme de guerre, et qui a fait l’éloge de Vauban.

« Pastoret, défenseur éloquent, courageux des principes au conseil des cinq-cents.

« Le ministre de la police générale, Cochon, l’un des hommes puissans qui savent le mieux faire tourner à l’avantage de la nation un ministère difficile.