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mère, je suis trop éloignée de vostre vertu pour qu’elle me puisse être un exemple. Vous dites parfaitement bien que la privation de ce sens peut me servir de pénitence, sur le plaisir que j’ai pris aux bonnes odeurs. J’en suis tout à fait persuadée, ma raison et ma volonté s’y soumettent ; mais je vous avoue que mon imagination souffre de me voir toute vivante porter une espèce de mort dans une partie de moi-même. Je voudrais bien savoir si ces peines, qui viennent de mon amour-propre, peuvent entrer dans ma pénitence. » Les lettres de Mme de Longueville nous montrent Mme de Sablé sous ce même aspect, adouci et voilé par la plus indulgente amitié. Connaissant ses faiblesses, elle y entre complaisamment ; elle lui demande la recette de ses eaux merveilleuses qui guérissaient tant de maux ; elle la consulte, comme elle ferait un médecin, et elle fait consulter à son intention les médecins les plus célèbres des pays où elle se trouve. Elle a scrupule de lui faire des visites ou d’en recevoir d’elle, lorsqu’elle est malade ou qu’elle a quelqu’un de malade dans sa maison, ou dans son quartier, ou dans ses domaines. Elle va bien plus loin : a-t-elle la moindre incommodité, elle interrompt sa correspondance et ne la reprend que lorsqu’elle est mieux et que ses lettres ne peuvent plus être suspectes de communiquer aucun mal. Et elle ne se moque point d’une si étrange pusillanimité ; elle glisse dessus, et enveloppe le mot discret, qui nous révèle à demi les faiblesses de son amie, des expressions les plus affectueuses, elle lui témoigne une tendre compassion de ses peines, et jusque dans ses moindres billets on sent ce cœur si bon et si doux qui la faisait adorer de tout le monde.


« Si vous me parliez tout de bon en me disant que je puis me moquer de ce que vous m’avez mandé de vos maux et des consultations que vous m’avez priée de taire, je serois dans un vrai chagrin contre vous ; car se pourroit-il qu’il vous tombât dans la pensée que je fusse capable d’un si vilain sentiment et d’un tel manque d’amitié ? Ne pouvant pas estre assez heureuse pour soulager vos maux, j’aime à les savoir, afin de les sentir, et d’y participer au moins par là en la manière que l’on peut. S’il y avoit en en ce pays des médecins à vostre mode, je les aurois bien consultés et vous en aurais rendu un compte fort exact ; mais je n’en connois qu’un seul, qui est très bon assurément, mais c’est de cette bonté des médecins de Paris qui ne vous convient point. Néanmoins, si vous voulez, je le consulterai, et je vous manderai son sentiment ; mais encore une fois, c’est un homme tout tourné à la méthode de Paris… »


Et remarquez que celle qui a tous ces ménagemens pour la santé de son amie les ignore pour elle-même. Aux Carmélites, elle couchait