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Nous regrettons que l’auteur de ce petit livre, écrit d’ailleurs avec élégance et clarté, n’ait pas cité plus souvent les sources où il a puisé.

Le jour même où M. Coste présentait son ouvrage à l’Académie des Sciences, M. de Quatrefages lisait devant ce corps savant des recherches sur la laitance de quelques poissons d’eau douce[1]. La question traitée dans ce mémoire est fondamentale, et avant qu’elle eût été résolue, il était impossible d’apporter toute la précision nécessaire dans les fécondations artificielles. Ce travail a donc une grande importance au double point de vue de la physiologie comparée et des applications de la zoologie. On sait, d’après les expériences de Prévost de Genève et de M. Dumas, que la laitance doit ses propriétés physiologiques à la présence d’animalcules[2] qui s’agitent d’une façon très caractéristique, et que tout pouvoir fécondant disparaît du moment que ces animalcules meurent. Or M. de Quatrefages montre que la durée de ces mouvemens est extrêmement courte chez les poissons, même dans les circonstances les plus favorables. Ainsi, dans la laitance du brochet délayée dans l’eau, toute vitalité s’arrête au bout de 8 minutes et 10 secondes. Les animalcules du gardon sont tous morts au bout de 3 minutes et 10 secondes, et ceux de la carpe au bout de 3 minutes seulement. Cette période d’activité est encore plus restreinte dans la perche et le barbeau, car elle n’atteint que 2 minutes 40 secondes chez celle-là, et 2 minutes 10 secondes chez le dernier. Elle n’est pas non plus la même chez tous les animalcules d’un même poisson, et la moitié d’entre eux périssent une fois plus vite. En outre, les chiffres précédens sont pris au degré de chaleur qui favorise le plus la durée des mouvemens, et des variations, même assez légères, au-dessus et au-dessous de ce point, les arrêtent avec une grande rapidité. La température qui entretient le plus longtemps la vitalité des animalcules est pour les poissons d’hiver, comme la truite, de 4 à 7 degrés ; pour ceux de premier printemps, de 8 à 10 ; pour ceux de second printemps, comme la carpe et la perche, de 14 à 16, et pour les espèces d’été, de 20 à 25. Lorsque la température dépasse un peu ces diverses limites, le surcroît d’énergie des animalcules compense jusqu’à un certain point la moindre durée de leur vitalité. Ces résultats s’appliquent à ceux qui sont disséminés dans l’eau ; lorsqu’ils restent unis par petites masses, ils meurent beaucoup moins vite. Les propriétés de la laitance se conservent aussi pendant un temps infiniment plus long, lorsqu’elle n’est pas délayée, et surtout lorsqu’on la maintient à une température très basse. Elle peut même être gelée sans que la mort des animalcules s’ensuive toujours. « M. Millet, qui m’a aidé dans toutes ces recherches, dit M. de Quatrefages, a imaginé de mettre des laitances avec de la glace dans une boite de fer-blanc, de manière que l’eau puisse s’écouler à mesure que la glace fond, puis de disposer cette première boite dans une caisse de bois percée de très petits orifices, et remplie elle-même de glace. » Grâce à ces précautions, le. savant académicien a pu conserver des laitances

  1. Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, séance du 30 mai 1858, t. XXXVI, p. 936. — Annales des sciences naturelles, troisième série, t. XIX, p. 341, 1853.
  2. Nous employons ce mot pour être compris de tout le monde ; il est aujourd’hui bien démontré que les corpuscules dont il est ici question ne sont pas de véritables animaux, mais seulement des zoïdes ou pseudozoaires.