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il cherche à lui montrer l’intérêt qu’il y aurait pour la France à limiter la puissance de l’Autriche au-delà des Alpes, et à lui opposer la barrière naturelle d’un état italien compacte et fort au lieu de ce corps hétérogène d’une république cisalpine. Que fait l’Autriche de son côté ? Elle cherche, avec une perspicacité rare, dans les conférences de Seltz, à sauver un intérêt d’avenir en évinçant le Piémont, fût-ce au prix d’une extension de la république cisalpine, création artificielle qu’elle sait bien être sans durée. Le directoire tranche la question en annexant simplement le Piémont à la France une première fois. Survient l’éphémère triomphe de la coalition européenne en 1799, et lorsque Souvarov, descendu du Nord en Italie, rappelle les princes de Savoie de l’île de Sardaigne, dernier asile de leur royauté dépossédée, l’Autriche gourmande les manies restauratrices du rude Cosaque, sans dissimuler que le conseil aulique avait d’autres vues sur les états piémontais. La politique autrichienne ne faisait ainsi que désigner elle-même son véritable antagoniste, ce qui devait être le sérieux et perpétuel danger de sa domination au-delà des Alpes le jour où, après une interruption de règne, l’Autriche et le Piémont personnifié dans la maison de Savoie se retrouveraient en présence en Italie. Que sera-ce en effet lorsque la révolution et l’empire se seront répandus pendant quinze ans des Alpes au Phare, ne fondant rien de durable, il est vrai, mais créant partout des intérêts nouveaux et des forces nouvelles, lorsque le travail des idées et des partis sera venu se joindre à la fermentation permanente des instincts d’indépendance, lorsque l’ambition traditionnelle d’une maison royale italienne pourra devenir à un moment donné le centre naturel d’un mouvement plus large de nationalité ? Qu’on dégage ces lignes essentielles de l’histoire, qu’on rapproche ces divers ordres de faits, et on aura le secret de ce duel récent engagé dans les campagnes de la Lombardie entre le Piémont et l’Autriche. L’antagonisme se poursuit, les événemens ne font que le transformer et l’agrandir, et il vient une heure où le Piémont, par esprit de race autant que par l’impulsion des temps, se trouve chargé du premier rôle dans une tentative nouvelle d’affranchissement.

Telle est la lutte que résumait dans sa destinée Charles-Albert, personnage étrange lui-même au milieu des dernières révolutions italiennes. S’il est une figure originale en effet, n’est-ce point celle de ce prince au caractère plein de mystères et de contrastes, héroïque et irrésolu, passionné et impénétrable, chevaleresque et capable de longues préméditations, qui concentre dans sa vie, dans cette vie que lui-même il appelait un roman, l’histoire du Piémont, presque de l’Italie, aux heures les plus décisives de ce siècle depuis l’empire, — en 1821, pendant son règne et en 1848 ? Lorsque Charles-Albert