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se jetait au-delà du Tessin avec son armée au mois de mars 1848, il y a des esprits qui n’ont vu dans cette extrémité qu’une ambition vulgaire. Lorsqu’un an plus tard il allait sans illusion et sans espoir jouer sa fortune et sa vie à Novare, ils ont imaginé cette hâblerie révolutionnaire, qu’il avait besoin d’une défaite pour conserver un trône à sa famille. Ils n’ont pas vu dans cette série de faits couronnés par l’abdication et la mort le dénoûment tragique d’un drame qui se déroule avec une sorte d’unité singulière et mystérieuse à travers tous les événemens contemporains. Cette unité, lien secret de toutes les contradictions de la vie de Charles-Albert, elle est tout entière dans une passion invariable d’indépendance qui se fait jour par la révolution sans avenir de 1821, qui couve dans l’âme du roi monté au trône en se dissimulant sous toutes les nécessités du règne, et n’éclate en 1848 que pour se confondre avec les malheurs de la péninsule. Dans ces trois époques est le triple nœud de cette destinée dont le terme fatal est l’exil d’Oporto et le tombeau de Superga.


I

Ce n’était pas un bon moment pour l’Italie et le Piémont, pour les princes et les couronnes, que celui où naissait Charles-Albert de Savoie-Carignan ; c’était le 2 octobre 1798. Deux mois encore, et la monarchie piémontaise allait disparaître. La paix de 1797 avec la France n’était qu’une halte entre une lutte de trois années et un interrègne de quinze ans. L’Italie elle-même fourmillait de toute sorte de républiques factices et capricieuses, depuis la république cisalpine jusqu’à la république parthénopéenne. Le Piémont était peut-être le pays de l’Italie le mieux en garde contre les influences révolutionnaires ; il avait encore, au moment où s’ouvrait la lutte, des mœurs fortes, un peuple intact, une maison royale aimée. Le Piémont devait résister plus que les autres états italiens ; il ne pouvait tenir contre la force qui allait faire plier l’Europe. Après la première campagne d’Italie et la dépossession violente de 1798, une restauration passagère pouvait encore se réaliser à Turin ; après la seconde guerre d’Italie, commencée et finie par le coup de foudre de Marengo, le Piémont n’était plus possible. Dès lors les princes de Savoie sont définitivement relégués dans l’île de Sardaigne. Pauvre petite cour de Cagliari, qui passe son temps à courir après toutes les espérances, qui a encore dans son exil ses souvenirs et sa dignité, ses ministres et ses ambassadeurs, dont l’un est Joseph de Maistre, — ministre du roi d’une petite île de la Méditerranée à Saint-Pétersbourg ! Quant à Charles-Albert, à peine est-il né au milieu de ces désastres d’un peuple subjugué et d’une monarchie brisée par la force, il est transporté