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en France, il perd son père, le prince de Carignan, qui s’était montré un vigoureux soldat dans les guerres de la révolution, et il reste confié aux soins de sa mère, princesse de Saxe. C’est en France qu’il est élevé, tantôt à Paris, tantôt à Genève, où il est placé sous la direction d’un ministre protestant. C’est en France qu’il grandissait au spectacle de la reconstitution civile d’un grand pays et des merveilles d’une puissance militaire inouïe. Il était même tout près de courir la fortune des princes dépossédés, on le faisait entrer comme lieutenant au 8° régiment de dragons français, — il avait quinze ans. Cet officier adolescent, violemment transplanté hors de son pays, n’avait point atteint l’âge viril, qu’il avait eu déjà le temps de voir naître, grandir, s’étendre et décliner le plus colossal empire du monde. Les événemens de 1814 venaient en effet changer la face de l’Europe, transformer encore une fois l’Italie, faire revivre la monarchie piémontaise agrandie de l’état de Gênes, et rouvrir à Charles-Albert la perspective d’un trône. Toutes les conditions de la politique se trouvaient subitement déplacées et renouvelées.

La révolution et l’empire par les germes profonds qu’ils ont laissés au-delà des Alpes, les traités de 1815 par les distributions territoriales et les conditions organiques qu’ils ont créées, sont, à vrai dire, le double principe de l’histoire de l’Italie dans notre siècle. C’est la révolution française qui a donné naissance aux partis italiens, et les a constitués tels qu’ils se sont produits, avec leur caractère, leurs opinions et leurs excès. Elle a fait à l’Italie le triste présent de cette vie politique convulsive et impossible que l’empire venait comprimer et replonger dans l’ombre sans la détruire. C’est de la révolution et de l’empire principalement que datent ces exaltations ténébreuses, ces habitudes de conspirations occultes qui ont fait des sociétés secrètes la plaie de la péninsule, et qui, en se développant, en passant par toute sorte de transformations, sont venues aboutir à la Jeune-Italie, œuvre de ce terrible hiérophante Mazzini. Au milieu de tout cela cependant, ce qu’il y a de certain, c’est que l’empire avait pour effet d’améliorer singulièrement l’état intérieur de l’Italie. Il simplifiait l’administration, créait des habitudes nouvelles, régularisait la vie civile, de telle sorte qu’à l’issue de l’empire, la révolution française existait au-delà des Alpes dans ce qu’elle avait de plus funeste et dans ce qu’elle avait de plus sainement civilisateur, dans ses violences démocratiques, doublées par le mystère des conjurations, et dans les bienfaits réalisés par une législation civile et administrative qui répondait à une multitude de besoins et d’idées d’un progrès légitime. Ainsi, d’un côté, des passions révolutionnaires encore menaçantes, des intérêts nouveaux nombreux, des institutions utiles, ayant pour elles la sanction du temps et d’une