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haies d’aubépines, quelques lignées de frênes et une longue file de mètres de pierre en forment tout l’ornement En ce moment, on n’y aperçoit qu’un cantonnier avec son enseigne rouge et blanche fichée à côté de lui dans la terre, et deux voitures d’Arboisins qui ramènent de Pontarlier des planches, sur lesquelles se trouve hissée une masse de tonneaux vides. La poussière que soulèvent les pieds des chevaux voltige devant eux en léger nuage. À la cime de leur collier, recouvert d’une grande peau de mouton teinte en bleu, avec toute sa laine, s’agite un énorme grelot, au bruit monotone duquel le voiturier s’endort sur sa petite banquette de cordes, au flanc de la première voiture. Non loin de l’entrée de la route, dans la forêt, s’embranche un des chemins qui conduisent au village. C’est sur la lisière droite de ce chemin que se trouve la maisonnette de la Jeanne-Antoine.

La porte d’entrée de la cuisine et les fenêtres donnent du côté du village, c’est-à-dire au midi, sur les deux carrés de choux qui viennent d’être plantés depuis peu et qui ont fort bien repris. Du côté de la rue, le toit, presque plat et en gros bardeaux, forme une forte saillie sous laquelle ; une voiture peut aisément trouver place, indépendamment de la pile de bois qui donne artistement la main à une autre pile de tourbes sèches par-dessus la porte de l’étable. Du côté du nord, voici la porte du grenier à foin, qui se trouve sur l’écurie même. La Jeanne-Antoine n’a pas de grange. Elle était obligée d’aller battre son blé chez les voisins avant l’invention des battoirs mécaniques. La Jeanne-Antoine n’a pas non plus de citerne, c’est-à-dire pas de citerne complètement à elle, comme il est facile de le voir par cette chaînette (chenal) en sapin qui part du toit de la maison voisine pour aboutir au même trou que la sienne, derrière cette auge en bois où vient boire le bétail. La citerne de la Jeanne-Antoine n’a pas de pompe. L’eau s’en tire tout simplement au moyen d’un grand balancier formé d’un jeune sapin tout entier, encore habillé de son écorce et fixé par une cheville, entre les deux cornes que forme un autre grand sapin en Y planté dans la terre. À l’un des bouts de ce balancier pend une grosse pierre, et à l’autre un seillot (seau) qui va puiser l’eau dans les profondeurs du réservoir.

Dans l’écurie de la Jeanne-Antoine, il y aurait certainement place pour plus des trois bêtes qui y logent ; mais si elles y prennent toutes trois aussi bien leur aise que la Bouquette le fait en ce moment, il est évident qu’il n’y oe a pas de trop. Cependant l’on aperçoit dans le fond une brouette, un trident et deux gros balais. La Jeanne-Antoine n’a ni herse ni charrue. Pour labourer ses champs, elle est aussi obligée d’attendre que les voisins veuillent bien lui prêter leurs outils. Aux solives rondes du plafond est clouée une latte qui sert de perchoir aux poules.

La cuisine de la Jeanne-Antoine, qui communique à l’écurie au moyen d’une porte, n’est pas luxueuse. Faute d’argent, hélas ! on a oublié de la cadetter (daller) lors de la bâtisse, et plus tard on s’est si bien accoutumé à la terre nue qui lui sert de plancher, qu’on en est resté là. La bande de la cheminée est formée d’une grosse solive de sapin qui court d’un mur à l’autre. À cette solive pendent quelques ails et une vessie de porc ; cette vessie n’indique pas du tonique la Jeanne-Antoine puisse se permettre le luxe d’un porc ; c’est tout simplement une vessie qui provient de chez son voisin, et qu’elle a gonflée