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en soufflant de toutes ses entrailles en prévision des besoins qu’on pourrait en avoir, tant pour les gens que pour les bêtes. Le foyer n’a pour chenets que deux gros cailloux. Bien qu’il soit aujourd’hui sans feu, on dirait cependant qu’il s’en dégage tout de même des odeurs de résine. La batterie de cuisine se résume en un crochet de fer, une vieille pelle forcée comme une écumoire, et un soufflet asthmatique au piston de fer-blanc. De l’autre côté pend au mur un vieux sabot, duquel on voit sortir des allumettes. À gauche de la cheminée s’ouvre la gueule du four, dont le dos fait saillie sur le jardin. Vis-à-vis, la seille d’eau à larges cercles de cuivre prend ses aises sur un rayon de pierre incrusté dans le mur. À côté de la seille se trouve le seillot de sapin blanc dans lequel la Jeanne-Antoine trait sa vache, et la taille de bois sur laquelle le fruitier marque à la craie rouge la quantité de lait qu’elle lui apporte. Au-dessus de la seille s’étagent quelques écuelles, puis vient la petile armoire où Jeanne-Antoine loge les provisions de bouche. En bas se trouvent deux marmites à base en pointe, deux marmites de fourneau. En fait de chaises, voici la sellette sur laquelle on s’assied pour traire la vache, puis ce gros tronc de sapin sur lequel on scie le bois. Au mur pend la poêle à frire à un clou, et deux chaînes de voitures à une muraille, et puis plus rien.

Passons au poële, c’est-à-dire à la chambre à manger et à coucher de la Jeanne-Antoine. Un pauvre lit à rideaux de cotonnade rouge occupe l’angle voisin de la fenêtre, vis-à-vis de laquelle un vieux buffet, dont elle a toujours la clé dans sa poche, renferme son linge, ses cotillons et sa bourse. Sur le buffet, on aperçoit une quenouille et une fillette couchée sur le flanc. La table longue touche par un bout le seuil intérieur de la fenêtre, avec un banc de bois de chaque côté. Sur cette table se trouve une salière blanche et une grosse nappe à rayure rouge, dans laquelle on conserve la miche de pain. Vis-à-vis le lit s’ouvre dans le mur une espèce de niche, au fond de laquelle on aperçoit par le dos la platine du foyer de la cuisine. Contre cette platine se trouve une perche sur laquelle on peut faire sécher le linge quand il y a du feu de l’autre côté. Le mur au-dessus de la platine est percé d’un trou, par lequel s’engage le tuyau du fourneau de fonte qui ne bouge pas du milieu de la chambre pendant toute l’année. À l’embrasure intérieure de la fenêtre figurent d’un côté un almanach, et de l’autre une image d’Épinal, aux couleurs fortes, représentant le Jugement dernier. Deux autres images de même fabrique ornent les deux côtés de la platine : l’une est le Degré des âges, et l’autre la Mort de saint François-Xavier sur une plage des Grandes-Indes. Au plafond enfin pendent deux énormes paquets de fil qui attendent le tisserand.

La chambre du fils de la Jeanne-Antoine, le grand Manuel, vient ensuite ; elle n’a pas d’autres ornemens que son lit de paillettes, deux paires de bottes qui jouent à cache-cache par dessous, ses habits des dimanches accrochés à un clou au mur, deux sacs de graines et un sac de farine qui rêvent dans un coin, à côté du pétrin de la Jeanne-Antoine ; un petit miroir à barbe à l’espagnolette de la fenêtre, un paquet d’oing blanc pour graisser les voitures au plafond, et quelque vieilles ferrailles éparses dans un autre coin, avec une grande hache d’équarrissage. La cave touche à celle chambre du grand, en prolongement de l’écurie. Quand il y avait encore des pommes de terre, la Jeanne-Antoine logeait là les siennes. Aujourd’hui cette cave ne sert plus à