Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du monde la moins propre et la moins portée à des discussions d’école, s’est éprise tout à coup d’un système de théologie, et, encore mal remise des orages de la fronde, est allée en chercher d’autres et entreprendre une guerre nouvelle, presque aussi difficile que la première. C’est que dans Mme de Longueville, à côté de l’angélique douceur que le témoignage unanime de tous les contemporains lui attribue, il y avait une fierté qui lui rendait odieuse toute tyrannie et l’inclinait du côté des opprimés; c’est que Port-Royal avait auprès d’elle l’attrait d’une cause persécutée. C’est que l’instinct et le goût du grand, qui jamais n’abandonnèrent la sœur de Condé, trouvaient là les plus dignes objets : une doctrine qui, fondant la sublimité de ses maximes sur le néant de la nature humaine, permettait d’unir, en toute sécurité de conscience, l’orgueil de l’élu sauvé par la grâce à la plus profonde humilité de la personne, surtout des esprits et des cœurs tels qu’elle n’en avait pas encore rencontrés, d’une candeur et d’une force incomparables, le doux et altier Saint-Cyran, préférant les cachots de Vincennes à la pourpre que lui montrait Richelieu; des hommes comme Arnauld, Pascal, Sacy, Domat et tant d’autres, accoutumés à ne se jamais considérer eux-mêmes et à ne penser qu’à la vérité; des femmes comme la mère Angélique, sa sœur la mère Agnès, leur nièce la mère Angélique de Saint-Jean, leur disciple Jacqueline Pascal, âmes héroïques qui aimaient la souffrance comme d’autres recherchent le plaisir. Génie, vertu, magnanimité, infortune, l’épreuve était trop forte pour le cœur de Mme de Longueville : elle y succomba, et fit deux parts de son âme et de sa vie, l’une aux Carmélites, l’autre à Port-Royal, demeurant, en se divisant ainsi, dans la vérité de sa nature, humble et fière, douce et intrépide. Ajoutez cette particularité touchante de son caractère : ses affections avaient sur elle un grand empire; ainsi que La Rochefoucauld le lui reproche avec une cruelle ingratitude, elle se transformait aisément dans les sentimens de ceux qu’elle aimait, et on a vu avec quelle tendresse elle aimait Mme de Sablé.

Il est intéressant de suivre pas à pas les progrès du jansénisme de Mme de Longueville; ils sont parfaitement marqués dans la correspondance conservée par Valant.

Nous avons dit[1] qu’en 1660, après La réconciliation de son frère Condé avec la cour, elle avait fait un voyage à Paris et était allée aux Carmélites, dans le voisinage de Port-Royal, sans rendre visite à Mme de Sablé, et que celle-ci l’accusa en badinant d’avoir eu peur de se compromettre en venant voir une janséniste, preuve assurée que Mme de Longueville ne l’était pas encore. Elle répond le

  1. Troisième article, livraison du 1er mars dernier.