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Tout à coup la porte s’ouvre, et la Jeanne-Antoine, avec un panier au bras, entre, suivie de son Manuel. La Jeanne-Antoine a mis un beau grand bonnet repassé tout frais, dont les ailes empesées se raidissent sur ses tempes comme un béguin de sœur hospitalière. À son cou pend une petite croix d’or retenue par une ganse de velours noir. La bavette de son tablier de cotonnade rouge est fixée par deux épingles à la hauteur de ses épaules sur un petit châle de laine à fleurs dont la pointe, par derrière, ne dépasse pas le niveau de la ceinture. Manuel, lui, a mis une veste de drap bleu foncé qui a l’air d’être neuve, un gilet clair à boutons de cuivre, un pantalon de drap gris clair un peu court qui laisse voir un peu plus qu’il ne conviendrait ses bottes fortes, aux talons desquelles on entend qu’il doit se trouver de petits fers. Le collet de sa chemise de calicot se rabat sur un foulard à couleurs éclatantes dont les deux pointes retombent en avant, comme des oreilles de chien de chasse.

— Ah ! voici la Jeanne-Antoine, bonjour, Jeanne-Antoine ; bonjour Manuel.

— Bonjour, Josillon ; bonjour, Mam’zelle Fifine.

— Eh bien ! eh bien ! qu’est-ce vous cherchez donc déjà dans votre panier ? Une poule saignée et plumée, Jeanne-Antoine !

— Mais oui, mam’zelle Fifine. Le grand m’a dit que nous dînerions probablement chez vous, et j’ai pensé qu’il serait encore assez tôt pour la mettre cuire.

— Eh bien ! Jeanne-Antoine, vous pouvez vous vanter d’être une femme de précaution. Asseyez-vous donc, monsieur Manuel.

— Oh ! ne faites pas attention, mam’zelle Fifine ; je ne suis pas fatigué.

— Ah ! çà, Josillon, il y a notre grand que voilà qui m’a dit que vous lui aviez parlé pour une femme.

— Vous ferez pardon, Jeanne-Antoine, c’est lui qui m’a parlé de ça le premier. Pas vrai, grand ?

— Oui, oui, c’est vrai ; mère, vous vous trompez.

— Enfin c’est toujours pour revenir au même.

La Fifine vient de se glisser furtivement dans sa chambre. Manuel, qui semble tout radieux malgré son mutisme, ne quitte plus des yeux la porte entrebâillée de cette chambre.

— Est-ce que vous avez réellement trouvé quelque chose qui convienne, Josillon ?

— Euh ! euh ! vous entendez bien, Jeanne-Antoine, des goûts ni des couleurs on ne peut discuter.

— Enfin ça n’empêche. Je m’imagine bien que vous ne lui auriez pas mis en tête quelqu’un qui ne conviendrait pas.

— Mais, pardié ! je ne lui ai rien mis en tête du tout, Jeanne-Antoine. Il est bien assez grand pour faire sa besogne tout seul, sans compter qu’il n’est déjà pas si bête qu’il en a l’air ; pas vrai, grand ?

— Enfin ça n’empêche, il me tarde bien de la voir. Vous comprenez qu’il y a femme et femme. Un homme comme notre grand, ça ne connaît pas une miette dans un ménage, par conséquent ça ne peut pas se connaître en femmes. Pour moi, si je dois vivre avec une bru, ce que je ne sais pas encore, pour lors vous comprenez que j’aimerais voir un peu la personne d’avance.