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homme dont la jeunesse ait été mêlée à ces grands événemens littéraires, un homme qui, encore enfant, ait salué dans les rues de Hambourg la tête blanchie de Klopstock, qui, à l’âge de vingt ans, ait vu de près les derniers jours et les dernières victoires de Schiller, qui ait été l’élève de Kant, le collaborateur de Fichte, l’ami de Schleiermacher, qui plus tard, accueilli par Goethe comme une des espérances de la patrie, ait reçu du patriarche de Weimar une sorte de consécration, un homme enfin qui, comme Alexandre de Humboldt, avec moins de grandeur et de gloire assurément, mais dans un centre d’idées plus spécialement littéraires, exprime par ses écrits, par son entretien, par sa personne tout entière, la tradition même des jours illustres, aussitôt, à l’annonce d’un livre, à l’apparition d’un volume de mémoires, comme la faveur s’éveille ! comme l’intérêt s’accroît ! et pour peu que l’écrivain veuille bien s’y prêter, quelle place d’élite lui est naturellement marquée au dessus des partis et des écoles ! En vain remarquerait-on qu’il n’est ni un penseur inspiré, ni une imagination souveraine, comme les hommes dont le souvenir est associé à son nom ; qu’importe ? il n’en représentera que mieux la culture générale du temps qui l’a vu naître. Ce sera une intelligence élevée, un littérateur ingénieux, un esprit fin, ouvert, sympathique, admirablement façonné par toutes les influences secrètes ou éclatantes d’un âge privilégié ; ce sera M. Varnhagen d’Ense.


I

M. Charles-Auguste Varnhagen d’Ense est né à Düsseldorf d’une vieille famille saxonne et westphalienne où la noblesse, acquise il y a bien des siècles par des travaux utiles, a toujours été dignement soutenue. Investie dès le XIIIe siècle de hautes dignités féodales, l’antique, illustre et chevaleresque race des Ense, comme l’appelle le chroniqueur westphalien Steinen, n’hésita pas à se transformer courageusement selon l’esprit des temps nouveaux ; elle accrut dans les fonctions civiles et les travaux de la pensée le rang que lui avaient légué ses chefs. Depuis le XVIe siècle particulièrement, les Ense ont fourni à l’état des savans, des théologiens et des médecins célèbres. L’un d’eux, Jean d’Ense, fut médecin de Gustave-Adolphe et de la reine Christine de Suède. Le grand-père de M. Varnhagen d’Ense, distingué aussi par ses talens dans l’art de guérir, occupa un poste élevé à la brillante cour de l’électeur palatin Charles-Théodore. Son père suivit la même carrière ; il étudia la médecine à Heidelberg, à Strasbourg, à Paris, et marié à une jeune fille de Strasbourg qu’il avait aimée pendant ses années