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d’université, il alla se fixer à Düsseldorf. C’est là que M. Varnhagen d’Ense vint au monde le 21 février 1785.

Quelle féconde et terrible époque pour entrer dans la vie ! Après ’ les premières années d’enfance, le jeune Varnhagen grandit au milieu des émotions de toute nature que le XVIIIe siècle finissant communiquait au monde. En vain la tranquille solitude de sa ville natale, semblait-elle protéger l’épanouissement de ses facultés : placé au bord de ce grand fleuve qui roula longtemps avec ses ondes l’écho de nos idées et de nos armes, il recueillit, bien jeune encore, les confuses clameurs de la révolution française, et toutes les alternatives d’espoir et d’épouvante que faisaient naître ces orageuses années eurent un contre-coup dans son cœur. Qu’on se figure à travers de pareilles secousses les premiers enchantemens des lettres, l’influence naïvement sentie des chefs-d’œuvre qui se succédaient avec éclat au sein de la poésie allemande, l’effet de ces grands noms, Goethe, Schiller, Herder, Jean-Paul, en un mot tous les charmes des choses de l’esprit associées à toutes les tragédies de la réalité. De Düsseldorf le jeune Varnhagen avait suivi son père à Hambourg : c’est là qu’il voyait l’auteur de la Messiade, grave, doux, silencieux, passer dans les rues de la cité, et quand, le soir venu, il se rappelait l’apparition du mystique chantre et résumait ses lectures chéries, tout à coup, au milieu de ses rêves, il entendait retentir pour la première fois le nom du général Bonaparte. Et que de récits, que de détails sur Lodi, Arcole, Castiglione, Montenotte ! Que de commentaires sur cette héroïque campagne d’Italie qui éblouissait l’Europe ! C’est là aussi qu’en 1797 il lisait dans un Taschenbuch récemment paru les scènes si pures d’Hermann et Dorothée, et qu’il en recevait une impression extraordinaire ; la même année, il voyait le général Lafayette, délivré enfin de sa prison d’Ollmütz, accueilli à Hambourg par une population enthousiaste. Ces contrastes se renouvelaient sans cesse. À Hambourg comme à Düsseldorf, on ne parlait que de la France. Imaginez la surprise de l’enfant, quand il voyait les émigrés français fraterniser sans peine avec les libéraux de Hambourg dans les salons de son père ! On se croyait bien audacieux à Hambourg, et l’on prenait encore des leçons auprès de ces brillans gentilshommes qui parlaient si bien de Voltaire et de Montesquieu. Des émotions si variées, des enseignemens si clairs, si pénétrans, si dramatiquement imprévus, assoupliront de bonne heure cette fine intelligence. Tout dévoué qu’il est à l’Allemagne, M. Varnhagen d’Ense gardera toujours le souvenir le plus vif du mouvement littéraire et social de notre pays. Ce double XVIIIe siècle, l’un si élevé, si enthousiaste, si poétique, avec Lessing, Klopstock, Goethe, Herder, Schiller, l’autre si audacieux dans sa grâce frivole