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vue industriel, une égalité parfaite, si elles s’équilibrent avec une précision mathématique. Il faut le répéter : dans les négociations engagées entre la Belgique et la France, c’est l’intérêt politique qui tient incontestablement la première place. Les divers gouvernemens qui se sont succédé en France depuis 1830 ont compris qu’il devait en être ainsi, et ils ont conformé leur conduite à cette intelligente appréciation des faits. Au nord comme au sud-est, les destins de la guerre ont enlevé à la France ce que l’on est convenu d’appeler ses frontières naturelles : il faut reconquérir moralement, en quelque sorte, le terrain que nous avons perdu et nous faire un rempart d’alliances. C’est au moyen des traités de commerce que le but peut être atteint. Le temps n’est plus où les souverains des deux nations s’engageaient à confondre l’ensemble de leurs intérêts politiques et dynastiques, à n’avoir partout et toujours que les mêmes amis et les mêmes ennemis ; on ne contracterait plus aujourd’hui de pactes de famille. Ces traités ont été remplacés par les conventions commerciales, qui donnent aux alliances entre les peuples un but plus précis et un caractère plus pratique. Depuis 1815, la diplomatie européenne s’épuise à l’étude peu attrayante des tarifs ; la suppression d’un droit de tonnage, la levée ou la réduction d’une taxe de douane, voilà ses conquêtes. Alors même qu’elle semble ne discuter qu’un intérêt économique, elle travaille, plus efficacement peut-être qui, par le passé, à la consolidation des liens internationaux. Pour la France par exemple, les traités de commerce successivement conclus avec les états sardes, qu’est-ce autre chose que la consécration, sous une nouvelle forme, d’une alliance politique destinée à garantir de ce côté la paix de nos frontières et à nous procurer un point d’appui pour contrebalancer en Italie l’influence autrichienne ? De même les traités de commerce conclus avec la Belgique ont eu et auront toujours pour objet la défense de notre frontière du nord contre la pression que l’influence anglaise ou l’influence allemande pourrait exercer, à notre détriment, sur la population d’un territoire où nous avons intérêt à ne rencontrer que des sentimens amis. Lorsque de pareilles questions sont en jeu, les détails purement industriels et la formule technique des traités de commerce ne conservent plus qu’une importance secondaire, car il s’agit moins pour nous d’obtenir un avantage matériel dans la balance des échanges que de faire éclater aux yeux de l’Europe le triomphe de notre politique et la réalité de notre influence sur les nations qui vivent autour de nous.

Ces considérations générales s’appliquent à la Belgique plus directement encore qu’aux autres états limitrophes de la France. Tant que les destinées de la Turquie ne seront point fixées, il y aura toujours une question d’Orient ; on pourrait dire avec autant de raison que si les destinées de la Belgique se trouvaient en péril, il naîtrait tout de suite une question d’Occident, non moins menaçante pour le repos du monde. Les armées se heurteraient de nouveau sur ce sol qu’elles ont déjà tant de fois ensanglanté, et qui redeviendrait le champ de bataille de l’Europe.

En décrétant l’existence de la nationalité belge, la diplomatie européenne n’a pas tout fait : il faut de plus que la Belgique trouve en elle-même et au dehors l’aliment nécessaire de son génie industriel, c’est-à-dire le placement