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une politique allemande et non une politique russe. Que l’Allemagne ne soit ni russe ni française, c’est là son intérêt, et c’est aussi l’intérêt de notre pays. L’erreur est de croire que la France ait l’ambition de dominer au-delà du Rhin : elle ne peut souhaiter rien d’autre que de voir l’Allemagne indépendante et forte. Non-seulement la France n’a nul intérêt à vouloir absorber l’Allemagne, mais il n’est point même dans sa politique de chercher à détruire la Russie. Ce qu’elle combat résolument aujourd’hui, ce n’est point l’influence légitime de l’empire russe, c’est une ambition démesurée, une tendance envahissante. Quand le chef de l’état en France disait, il y a quelques mois, que le temps des conquêtes était passé, il disait le mot de la situation. Mais si le temps des conquêtes est passé pour la France, il est passé aussi pour la Russie. S’il reste en Europe une ambition qui puisse être une menace pour l’indépendance morale des peuples, pour la sécurité du continent, pour l’intégrité de la civilisation occidentale, cette ambition doit s’attendre à rencontrer une formidable coalition. Entrer dans cette coalition, ce n’est nullement de la part de l’Allemagne se subordonner à la France, c’est combattre librement et en toute indépendance pour l’intérêt allemand en même temps que pour l’intérêt européen.

Que le patriotisme russe cherche à dénaturer le caractère de cette situation, qui tend à détruire toutes les neutralités pour faire passer l’Europe unie dans un camp en face de la Russie, cela ne saurait rien changer ; et s’il n’y a plus de terrains neutres, comme s’en plaint l’homme remarquable de Saint-Pétersbourg dont nous avons recueilli des témoignages précieux, qui donc a poussé le plus à cette extrémité ? Le même homme ne nous dit-il point encore aujourd’hui dans une dernière communication : «… Il n’y a plus rien de neutre entre eux et nous. La séparation s’est faite, et elle ira en s’aggravant de jour en jour… La bataille est engagée, quelle en sera l’issue ? C’est le secret de l’avenir… Quoi qu’il en soit, la lutte finie, dans dix ans, dans vingt ans, dans cinquante ans, ce n’est plus à la Russie, je le répète, qu’on aura affaire dans l’Occident ; c’est à ce quelque chose de formidable et de définitif qui n’a pas encore de nom dans l’histoire, mais qui existe déjà et qui grandit à vue d’œil dans toutes les consciences contemporaines, amies ou ennemies, n’importe… » Qu’on tienne compte de l’exagération évidente de telles paroles : ne reste-t-il pas encore dans le fond de cette pensée cent fois de quoi mettre les armes dans les mains de l’Allemagne, et justifier absolument la politique suivie par l’Autriche ?

Tel est donc aujourd’hui l’état de l’Allemagne. Entre la délibération et l’action, il n’y a plus qu’un mot à prononcer, et ce mot, c’est la réponse du tsar à la dernière note autrichienne qui va le dire. À mesure que la situation se dessine plus nettement en Europe, elle se débarrasse de quelques-uns des élémens qui étaient venus la compliquer en Orient. La Grèce s’est réveillée de ses illusions en présence d’un corps d’occupation anglo-français. Le roi Othon a cédé à la nécessité : il s’est déclaré prêt à maintenir la neutralité du royaume hellénique ; il a nommé un nouveau ministère où entrent le vieil amiral Canaris et M. Mavrocordato ; il rappelle les fonctionnaires qui étaient allés se jeter dans les insurrections de la Thessalie et de l’Epire. Dans tous les actes, dans toutes les paroles du souverain hellénique connue de ses nouveaux