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ministres, on distingue un ton de résignation attristée. S’il est quelque chose d’étrange, c’est cette espèce d’exaltation maladive à laquelle semblait céder le roi Othon, lorsque les ministres de France et d’Angleterre cherchaient à l’arrêter sur la pente fatale où il s’engageait. Il n’est point de scène plus curieuse que celle que rapporte le représentant anglais, M. Wyse, dans une de ses dépêches. Le ministre de France, M. Forth-Rouen, et M. Wyse passèrent quatre heures à épuiser tous les moyens de conviction. « Le roi, raconte le ministre anglais, a dit qu’il avait mission de Dieu de protéger la race grecque contre l’oppression des musulmans par tous les moyens dont il disposait, et qu’il considérait tout avertissement relatif au danger dont il était menacé comme une atteinte à sa dignité et à son indépendance. « La reine était plus emportée encore, et se livrait aux plus violentes invectives au moindre soupçon émis sur la nationalité du mouvement grec. Si le roi semblait hésiter un moment, la reine était auprès de lui, et le ranimait de son éloquence, de son influence irrésistible. — Le résultat, c’est l’occupation de la Grèce, et, pour le moment du moins, l’abandon de cette triste politique, qui n’avait d’autre effet que d’être une diversion favorable à la Russie.

Il y a un autre fait douloureux dont les dépêches récemment publiées en Angleterre sur toute l’affaire grecque rendent tristement témoignage, c’est que les insurrections des provinces turques ont donné lieu à des scènes de véritable barbarie, à des violences inouïes exercées sur des populations souvent inoffensives. Plus que jamais aujourd’hui, en occupant la Grèce et en la ramenant à une stricte neutralité, la France et l’Angleterre se doivent à elles-mêmes de protéger ces malheureuses populations chrétiennes, livrées au fanatisme turc, rançonnées par les insurgés. Il est de leur honneur autant que de leur intérêt de travailler énergiquement, efficacement, à l’amélioration réelle des conditions auxquelles restent soumis les chrétiens orientaux de cette lutte, s’il doit sortir une victoire sur la prépondérance russe en Orient, il faut aussi qu’il résulte un bienfait pour la civilisation, la garantie plus complète de tous les droits des populations chrétiennes. C’est le double but que la France et l’Angleterre ne sauraient cesser de poursuivre, et qui se trouve du reste inscrit dans les protocoles de la politique européenne. Quant à présent l’occupation de la Grèce est restreinte au Pirée, où ont été laissés deux mille hommes appuyés par une force navale. Cela suffit, avec les dispositions nouvelles manifestées par le gouvernement grec. Ces dispositions dureront-elles ? C’est une autre question, et les puissances occidentales ne se méprennent pas sans doute sur la nécessité d’entretenir les agitateurs grecs dans le sentiment de leur impuissance. Ainsi les forces ennemies se rapprochant chaque jour davantage sur les divers théâtres de la guerre, la coalition européenne se nouant de plus en plus, l’Allemagne prête à agir, la Grèce pacifiée, ce sont là, pour aujourd’hui, les traits principaux qui marquent le point où est arrivée la question d’Orient.

Tandis que se déroule partout en Europe cette crise de la politique universelle, qui est une épreuve pour les vieux systèmes d’alliances autant que pour tous les intérêts, la France reste dans le calme de sa vie intérieure. Les événemens abondent peu, il n’y a pas même d’incidens, et il y a encore moins de luttes d’opinions. Le corps législatif a seulement terminé la session