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fiancée, celle qui fait à d’autres les yeux doux. » Les oiseaux apparaissent souvent encore comme messagers de Dieu. Les Bulgares connaissent sur leurs Balkans une espèce d’aigle qui est censé, aux approches de la vieillesse, partir pour le Jourdain. En se baignant dans le fleuve sacré, il reçoit un plumage blanc, et revient dans ses montagnes purifié et rajeuni. De là l’origine de l’aigle blanc.

Dans tous les chants guerriers des Slaves, le cheval joue plus ou moins vis-à-vis de son maître le rôle de conseiller, de compagnon intelligent. C’est ainsi que Marko, le fils des rois ou krals, consulte sa monture, le fameux Charats, dans les circonstances difficiles. C’est Charats qui annonce en pleurant à Marko qu’il va mourir. Qui ne connaît les continuelles apostrophes du guerrier polonais à son cheval ? Qui ne sait que les Cosaques du Don aiment leurs coursiers à peu près comme l’Arabe aime le sien ? La même inspiration qui idéalise ainsi les animaux multiplie les personnifications de la nature inanimée. Les montagnes, les rivières, prennent part aux joies et aux peines de l’homme : elles aident les héros de leurs conseils et combattent avec eux comme les dieux d’Homère combattaient avec les Grecs. Ainsi, dans le chant bohème de Zaboï, les fleuves que l’armée victorieuse rencontre successivement sur sa route engloutissent les Allemands et portent sains et saufs les Tchekhs à l’autre rive. Le Danube, souvent interrogé par les Serbes, répond presque toujours d’une manière morose et brusque assez en harmonie avec la turbulence de ses eaux, « O Danube, fleuve profond, pourquoi coules-tu si fougueux ? Est-ce le cerf avec ses cornes ou le voïevode Mirtcheta avec sa lance qui a troublé la limpidité de ton onde ? — Ce n’est ni le cerf avec ses cornes, ni le voïevode Mirtcheta avec sa lance, qui trouble le cristal de mon onde : ce sont ces maudites jeunes filles qui, chaque matin, viennent sur ma rive pour arracher les fleurs et laver leur blanc visage. » Le Danube nous est représenté comme aimant beaucoup la danse : il est censé le grand maître de musique de tous les joueurs de gouslè; c’est lui qui dirige les chœurs triomphans des guerriers. Cette manière d’envisager le fleuve des Illyro-Serbes est passée jusqu’en Russie. Un archéologue de Moscou, Makarof, dans son livre sur les Traditions russes, cite une chanson de moujik qui dit : «Danube, notre Danube» les jeunes gens t’invitent à venir présider la danse, à venir t’asseoir à nos festins. Le Danube, le jeune Danube est venu assistera nos fêtes religieuses, il s’est assis dans nos assemblées, il nous a joué des airs de danse. » Il faut cependant remarquer que le peuple russe place d’ordinaire sur les rives du Danube les scènes les plus lugubres de ses légendes, le meurtre de ses héros, la déroute des années ou le désespoir des jeunes filles abandonnées de leurs amans. Pour les Russes, le Danube est un fleuve ennemi; c’est le Volga qui est une