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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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31 mars 1854.

Le dernier mot des affaires d’Orient ne pouvait plus être un mystère, même avant d’être prononcé ; il s’échappait invinciblement de la logique des faits. Les incidens successifs qui se sont produits coup sur coup depuis quelque temps, la rupture des relations diplomatiques entre les principaux états intéressés, la nature des dernières communications échangées, l’impulsion donnée à tous les préparatifs militaires, la marche des armées et des escadres, tout servait à révéler la phase nouvelle où entrait l’Europe. Mais cette phase n’avait pas reçu encore son vrai nom ; elle l’a reçu aujourd’hui de la bouche des gouvernemens eux-mêmes, elle s’appelle la guerre. Dans le parlement anglais et dans le corps législatif de France, des déclarations officielles viennent le même jour de lever tous les doutes, si tant est qu’il en pût rester. Le dernier ultimatum par lequel l’Angleterre et la France rappelaient la Russie au respect des traités, en fixant un délai dans lequel l’évacuation des principautés du Danube devait s’accomplir, posait nettement la question. L’empereur Nicolas l’a tranchée par le silence. Les gouvernemens de l’Occident à leur tour ne font que donner à ce silence sa signification réelle, en l’acceptant comme une déclaration de guerre dont la responsabilité pèse de tout son poids sur la Russie. Deux faits achèvent de préciser cette situation. D’un côté une partie de l’armée russe vient de franchir le Danube, il y a peu de jours, à Ibraïla ; de l’autre, un traité a été signé le 12 mars à Constantinople entre la France, l’Angleterre, et l’empire ottoman. Les puissances occidentales s’engagent à prêter le secours de leurs armes à la Turquie pour arriver à une paix qui assure son indépendance et son intégrité, sans prétendre pour elles-mêmes à aucun avantage particulier ; la Turquie s’engage à ne faire la paix que sous l’approbation et par le concours des puissances de l’Occident. Le protocole reste ouvert à la signature des autres gouvernemens de l’Europe, Ainsi ce conflit né presque à l’improviste il y a plus d’un an déjà, successivement aggravé en dépit de tout le zèle conciliateur des cabinets, funeste pour tous les intérêts de la civilisation, est arrivé aujourd’hui à ses proportions