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Turquie d’Asie, l’étude de notre langue et de notre littérature forme une des bases de l’enseignement, et est considérée comme l’élément principal de toute éducation soignée. L’influence de cette étude s’est révélée par l’imitation ou la traduction de plusieurs de nos auteurs classiques, des romans contemporains les plus en vogue parmi nous, de nos revues et de nos journaux. Ces sympathies pour les idées et la civilisation occidentales, indépendamment de toutes les causes qui ont concouru à les provoquer, et dont le christianisme est la principale, en ont une originelle et intime dont la science ethnologique fournit l’explication, l’affinité de race. Il est démontré que les Arméniens se rattachent et par le sang et par la langue à cette grande famille de peuples qui, partie de l’Asie, son berceau, couvre maintenant toute l’Europe, et qui a reçu le nom d’indo-européenne ou japhétique.

Quoique l’on ait beaucoup écrit sur les Arméniens, il n’en est pas moins vrai que l’on ne les connaît en Europe que très imparfaitement, et qu’une foule de notions erronées circulent sur leur compte. Dans l’état de dispersion où ils s’offrent à nous aujourd’hui, vivant dans des pays ou sous des gouvernemens très divers, une description générale ne saurait leur être appliquée. Sauf certains traits qui constituent le fond du caractère national, il y a en eux des différences notables à observer d’une contrée à l’autre et suivant les temps. L’Arménien des Indes, sujet libre de l’Angleterre, enrichi par le commerce; l’Arménien grand propriétaire en Autriche, seigneur féodal et premier magistrat de son district; l’Arménien élevé en Russie à d’éminentes fonctions militaires ou civiles[1], ne ressemblent en rien à ce qu’était autrefois et à ce qu’est encore aujourd’hui l’Arménien raya de l’empire ottoman, et c’est cependant sur ce dernier type, observé quelquefois au fond des provinces les plus misérables de la Turquie d’Asie ou au milieu de la société cosmopolite et équivoque de Fera à Constantinople, que la nation a été jugée le plus souvent, et que son portrait a été tracé par des touristes, la plupart

  1. Parmi les Arméniens d’Angleterre, je citerai M. le chevalier Alexandre Raphaël Gharamian, représentant à la chambre des communes le bourg de Saint-Albans, dans le Hertfordshire, mort il y a trois ans à Londres, laissant une fortune d’environ 16 millions de francs; en Autriche el en Hongrie particulièrement, la famille Djerakian, de Gross Beeskerek, plus connue maintenant sous son nom hongrois de Gyertyanfl, qu’elle prit lors de son anoblissement par Joseph II, et à laquelle appartient le domaine seigneurial de Bolslâ. Des deux frères Gyertyanfl, l’aîné, M. David, était naguère préfet de district et est encore conseiller impérial. Je mentionnerai aussi la famille Kics de Temesvar, qui possédait pour « nu 7 millions d’immeubles, et dont le chef, M. le colonel Ernest Kics, a été fusillé et a eu toute sa fortune confisquée pour avoir pris part à l’Insurrection de Hongrie. Dans le cours de mon travail, j’aurai l’occasion de signaler plusieurs des principaux Arméniens de Russie.