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politiques et religieuses, les villes et les monumens, les institutions, les mœurs et les coutumes de l’ancienne Arménie.

Dans l’ordre de la production littéraire vient pour les Arméniens, après Venise et Vienne, la capitale de l’empire ottoman. Des éditions de plusieurs de leurs auteurs classiques y ont vu le jour depuis deux siècles : mais, sous le rapport de la correction du texte et de l’exécution matérielle, elles sont loin de pouvoir rivaliser avec celles de Venise ou de Vienne. Les livres d’instruction élémentaire puisés aux sources occidentales, et si multipliés chez les mekhitharistes, ici ne comptent pour ainsi dire pas. Je n’ai à signaler dans cette catégorie qu’un abrégé d’histoire universelle qui a pour auteur un ancien professeur du collège de Sainte-Jérusalem à Scutari, M. Tchamourdji-Oglou. On doit à la plume exercée et savante du même écrivain une traduction des Pensées de Pascal et une version encore inédite de l’Essai sur l’Indifférence, de M. de Lamennais. Je note ce dernier travail, parce qu’il doit être considéré non point comme un fait littéraire isolé, mais comme une manifestation de l’influence que notre littérature contemporaine tend à conquérir parmi les Arméniens de Constantinople. Au milieu d’eux s’est formée une sorte d’école que l’on pourrait appeler la Jeune Arménie, école recrutée dans cette fraction de la génération nouvelle pour laquelle Paris est aujourd’hui ce qu’était Athènes pour la jeunesse arménienne du temps de Moïse de Khoren, la source où elle vient s’initier à l’instruction et prendre le goût de l’urbanité.

C’est à cette fréquentation de la société française qu’il faut rapporter l’introduction à Constantinople du genre de composition le plus en faveur parmi nous, le roman, et les efforts qui ont été faits pour l’y naturaliser par la traduction ou l’imitation. Une revue arménienne, le Panassêr (le Littérateur), a fait paraître dernièrement une traduction de la Chaumière indienne, et, ce qu’il y a de piquant, c’est que les déclamations philosophiques et sentimentales que Bernardin de Saint-Pierre a mises dans la bouche de son paria et du docteur anglais ont eu pour interprète une toute jeune personne. Un ancien élève du collège arménien Samuel-Moorat à Paris, M. Manoug-Bey de Constantinople, s’est exercé sur le Paul et Virginie, et son calque, sans être d’une exactitude irréprochable, témoigne d’une appréciation bien sentie des beautés de l’original et des efforts qu’il a faits pour les rendre. Le directeur d’un journal de Constantinople, le Massis, vient de publier une traduction assez agréable du Lépreux de la cité d’Aoste. Une feuille hebdomadaire, le Noïyan Aghavni (la Colombe de Noë), avait entrepris naguère de servir à ses abonnés, en feuilletons, le Monte-Cristo, et l’on annonce la prochaine apparition, par la même voie de périodicité, du Juif Errant. Dans ces choix