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faut faire selon la prudence, je suis beaucoup plus aisée à consoler des mauvais succès.

« Toutes ces raisons me mettent dans la situation d’esprit que je viens de vous dire. Je désire qu’elle ait votre approbation, car après mon salut et mon devoir vers ma famille, je ne souhaite rien tant au monde que cette mesme approbation et vostre amitié. »


DEUXIEME LETTRE.

« De Châteaudun, le 29 juillet 1664.

« J’ai reçu votre lettre. Je vous dirai, en commençant celle-ci, que toutes les bontés que vous me témoignez me consolent autant que je le puis estre dans une conjoncture aussi affligeante. Je vous proteste aussi que je ne combats vos sentimens que par force, et que si, pour les suivre, il ne falloit rien faire que de me gêner moi seule aux choses les plus contraires à mon humeur, je ne balancerois pas; mais, comme je vois clair comme le soleil que, voulant aller au bien de la maison, vous irez à un but tout contraire, je ne puis m’empescher de vous contredire et de vous dire encore mes raisons, après quoi je ne vous dirai plus rien, et je ferai aveuglément ce que vous jugerez que je devrai faire, s’il ne choque que mon sens et point ma conscience.

« Ce que vous me proposez est en soi le plus raisonnable du monde : on ne sauroit y ajouter ni y diminuer une parole, estant pris généralement; mais dès qu’on en veut faire l’application sur le sujet que nous avons en main, tout est perdu, car enfin mon fils est fait comme il est fait : tous nos dépits, tous nos désespoirs le laissent tel qu’il est. Il faut donc demeurer d’accord que nos desseins lui doivent estre proportionnés. Il ne suffit pas qu’ils soient raisonnables, justes, et selon toutes les règles et de la conscience et de la prudence humaine; il faut qu’il les puisse suivre, autrement c’est parler en l’air. Or il est certain qu’il est aussi peu propre à former un dessein présentement que s’il n’avoit que six ans. Ainsi ne croyez pas que je puisse m’arrester à tout ce qu’il me diroit pour l’église : cela seroit de la dernière horreur de le prendre au mot, car il n’a non plus de dévotion ni d’instruction qu’un enfant qui vient de naistre; et s’il en prenoit la profession, il la quitteroit six mois après, et il auroit cette rage-là de plus contre nous, que nous l’aurions encore forcé à cette profession, car si on ne l’a forcé à la première, il ne s’en est guère fallu. Vous n’avez pas vu ce qui se passa à Trie, qu’un soir il se dédit quasi, que cependant on poussa la chose, que les jésuites, convaincus de son peu de vocation et de son peu d’avancement d’esprit pour en choisir une avec sens, demandoient du temps, qu’on ne voulut pas leur en donner, et qu’on fit la chose avec une précipitation honteuse, qui est et sera la source des malheurs de cet enfant, de la maison et des miens. Pour l’épée, rien n’est plus aisé que de lui proposer tout ce que vous désirez; mais il n’a pas l’esprit assez fort ni assez de cœur, car il faut parler franchement, pour se rendre capable de cette profession-là.

« On le tiendra, dites-vous, dans une maison près de Paris, et on lui ostera tout commerce avec sa sœur. Cela est-il possible ? Puis-je lui refuser la porte ? Puis-je empescher d’homme vivant ne voye mon fils par qui Mme de Nemours lui escrive et lui fasse parler ? Il faut donc que je le tienne en prison.