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qui charmait la foule, c’est à cela qu’elle battait des mains. M. Guizot, par bien des raisons, ne pouvait aspirer à ce genre de triomphe. Il croyait à la liberté, à la responsabilité humaine; il entendait ne pas confondre le bien avec le mal, le droit avec la force, et la vérité dans l’histoire, la vérité quand même et à tout risque, était son culte et sa passion. Il ne suivait pas le torrent, et bien lui en a pris. Pour ajouter à son succès un peu plus de bruit peut-être, que n’eût-il point perdu! Son livre aurait vieilli, tandis qu’il semble né d’hier, et lui-même aujourd’hui, nous le verrions réduit à cette triste alternative ou de laisser une œuvre inachevée ou de se contredire en l’achevant. Ce n’est donc pas toujours un si mauvais calcul que de faire bon marché des faveurs de la foule. Ce flot si prompt à vous porter aux nues vous y soutient si peu de temps, et vous en fait si tôt descendre! Mieux vaut chercher des appuis plus constans, ne jamais courtiser que ces esprits d’élite qui s’obstinent à aimer toujours les mêmes choses : la raison, la justice, le droit, la vérité, l’histoire indépendante et impartiale. Ils ne sont jamais très nombreux, pas toujours écoutés; mais, quoi qu’on fasse, ce sont eux dont la voix finit pas prévaloir, et cette voix. Dieu merci, ne fait jamais défaut à qui sait leur rester fidèle.

M. Guizot n’a donc rien à craindre de toutes nos transformations; si d’autres ont perdu leur public, il est sûr de retrouver le sien. Le côté politique de son livre sera compris, apprécié, honoré, même aujourd’hui. Et pourtant il a bien fait de ne pas négliger un moyen plus certain peut-être d’étendre et d’asseoir son succès. La politique n’est pas tout dans l’histoire. Indépendamment du caractère moral que l’historien imprime à ses récits et de l’esprit qu’il porte dans ses jugemens, il y a l’ordre et l’enchaînement qu’il donne aux faits, la façon dont il les expose, dont il les voit, dont il les peint. En un mot toute œuvre historique a son côté littéraire, et c’est de ce côté surtout que lui vient sa fortune. C’est là ce qui séduit ou rebute. Les meilleures pensées, les plus justes raisons, si la forme en est terne, obscure ou languissante, ne sont que d’arides documens, et vont dormir dans la poudre et l’oubli. M. Guizot l’avait compris dès 1826, et c’est peut-être, avant tout, par la forme de son œuvre qu’il conquit cette fois la faveur du public.

Un succès littéraire n’était pas attendu : il n’en fut que plus brillant. L’auteur se faisait voir sous un jour tout nouveau. Jusque-là ses preuves étaient faites en bien des genres; bien des supériorités lui étaient reconnues : la puissance de son esprit, l’éclat même de sa parole s’étaient révélés dans ses cours, dans ses écrits polémiques, dans ses essais de critique et d’histoire; l’homme d’état perçait sous le publiciste, et dans la chaire du professeur l’orateur se faisait pressentir ; l’écrivain ne paraissait pas encore. Non que dans ses