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son fils, et que les femmes à la mode qui attiraient ce jeune homme ne lui apprissent ce qu’elle eût voulu lui dérober à jamais ! Elle est à la fois résignée à toutes les conséquences de l’ancienne faute, et affligée d’en trouver la punition dans la froideur que son fils lui témoigne. Elle en est réduite à demander de ses nouvelles à Mme de Sablé ; elle la prie de le sonder habilement sur ce qu’il peut savoir d’elle. Le comte de Saint-Paul la surprend-il d’une visite inattendue, elle n’en conçoit pas une très grande joie, car elle devine aisément que c’est à Mme de Sablé et à son intention officieuse qu’elle doit cette visite. Témoin de ses souffrances maternelles, Mlle de Vertus, écrivant à Mme de Sablé, ne se lasse pas d’admirer son courage ; mais dans les lettres de Mme de Longueville, on sent combien ce courage lui coûte, et son vœu le plus intime, qu’elle exprime plus d’une fois, est de quitter un monde qui la comprend si peu et d’aller finir ses jours dans la solitude.

Dès que le comte de Saint-Paul eut achevé son académie, il alla à l’armée et s’y distingua par sa bravoure et son intelligence[1]. Sa première campagne fut celle de Flandre en 1667. L’année suivante, il fit partie de l’expédition de Franche-Comté. À la paix, ne voulant pas rester oisif, il accompagna La Feuillade en Candie, et montra partout un courage aventureux. Il revint à Paris avec une réputation brillante que relevait sa bonne mine[2]. On conçoit quels furent ses succès auprès des femmes. Les plaisirs allaient au-devant de lui ; il s’y livra sans mesure, et Mme de Longueville dit à ce propos à Mme de Sablé que son fils gâte l’hiver tout ce qu’il a fait l’été.

Ce qui égara le comte de Saint-Paul, ce furent les flatteurs et particulièrement ces beaux-esprits, ces lettrés médiocres qui suivent

  1. Le seul historien du comte de Saint-Paul que nous connaissions et puissions citer est Gilbert de Choiseul, frère du maréchal de Praslin, d’abord évêque de Comminges, puis de Tournai, dans l’oraison funèbre qu’il a faite du jeune duc et qu’il prononça en l’église des Célestins le 9 août 1672. Cette oraison funèbre a été imprimée dans le temps à Paris, in-4o. Les exemplaires en sont fort rares.
  2. Mademoiselle nous en a laissé un portrait peu flatté : « M. de Longueville avoit le visage assez beau, une belle tête, de beaux cheveux, une vilaine taille et l’air peu noble. Les gens qui le connoissoient particulièrement disent qu’il avoit beaucoup d’esprit. Il parloit peu, il avoit l’air de mépriser, ce qui ne le faisoit pas aimer. Mme de Thianges étoit fort de ses amies, la marquise d’Huxelles et beaucoup d’autres : elles vouloient aller en Pologne avec lui. Quand il mourut, elles en portèrent le deuil et témoignèrent une grande douleur. » Rien n’autorise à penser que Mme de Thianges et Mme d’Huxelles, déjà sur le retour, fussent autre chose au comte de Saint-Paul que des amies à peu près sur le pied de Mme de Sablé, qui s’étaient peut-être chargées d’en faire un honnête homme et étaient flattées de ses soins, mais sans aucune prétention. Mme d’Huxelles en particulier, quoique veuve et encore très agréable, était une femme de trop d’esprit et de goût pour braver le ridicule d’une liaison avec un tout jeune homme. Voici une lettre que lui écrit le comte de Saint-Paul, et qui témoigne de relations à la fois familières et respectueuses. Nous la donnons, parce qu’elle fait pour notre opinion, qu’elle est inédite et autographe, et qu’elle est la seule lettre que nous ayons renconrée de ce fils de Mme de Longueville, objet de tant d’espérances si tôt moissonnées. Bibliothèque nationale, Supplément français, no 376, lettres à Mme d’Huxelles, lettre 30e :
    « Ce 20 septembre, de Chambor.
    « Vous croyez bien que je ne suis pas moins aise que le roy vous ait donné tout ce que vous lui avez demandé que j’estois alarmé du péril que vous avez couru de ne rien avoir. Tout le monde est si persuadé de l’intérest que je prends à ce qui vous touche, que M. de Rouville me charge de vous faire son compliment, croyant, à ce qu’il dit, que Vous le recevrez plus favorablement de moi que de lui. Je m’en acquitte donc : vous lui témoignerez, s’il vous plaist. Je n’ai point de nouvelles du prince ; je lui ai pourtant escrit depuis qu’il est parti ; faites ce que vous pourrez pour le résoudre à m’en donner ; si vous ne pouvez gagner cela sur lui, faites m’en sçavoir. On dit que nous partirons d’ici le 11 du mois prochain. Souvenez-vous toujours, madame la marquise, du meilleur de vos amis ; je dirois bien du plus humhle de vos serviteurs, mais vous me permettez ces familiarité, au moins en paroles. Le comte de Saint-Pol, »