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l’Angleterre comme une Écosse ou une Irlande. On lui insinue poliment ce projet, et comme elle semble peu jalouse de l’honneur qu’on lui destine, c’est à coups de canon qu’on poursuit l’entretien. Politique insensée, chimérique, imprudente, politique de parvenus ! Et pourtant tel est le cours des choses, que de cette ambition, précoce jusqu’au ridicule, sortira pour ce pays la force et la puissance. L’acte de navigation n’est qu’une aveugle représaille, il porte en lui la souveraineté des mers. Mais la guerre, en attendant, peut ébranler la jeune république. Aussi, dès que Cromwell a balayé ces fanfarons, dès qu’il est maître, il faut voir avec quelle promptitude il travaille à la paix, comme il fait bon marché des chimères, comme il revient aux alliances naturelles, à ses vrais points d’appui, pour promener tout à son aise ses regards et sa sollicitude sur le protestantisme dans tout le continent, en France, en Allemagne, en Suisse et jusque dans les vallées du Piémont. Cette extension de son protectorat en dehors de son île a-t-elle été jamais comprise et dépeinte ainsi ? Quel exposé lucide ! quelle justesse d’aperçus !

Mais c’est surtout à propos des rapports de la France et de l’Espagne avec le protecteur qu’une sagacité supérieure trouve matière à s’exercer. Il y a là quelques pages qu’un Espagnol aussi bien qu’un Français aimerait fort à déchirer, si l’histoire elle-même n’en devait pas survivre. Par malheur il est beaucoup trop tard pour user du remède qu’indiquait Cardenas, l’ambassadeur de sa majesté catholique : « Pourquoi donc, disait-il, le roi mon maître et le roi de France ne se délivrent-ils pas, par un accommodement, de toutes les bassesses que la jalousie les oblige de faire à M. le protecteur pour l’attirer dans leurs intérêts ? » Le moyen était bon; mais M. le protecteur ne craignait pas qu’on s’en servît : il connaissait trop bien son monde. Aussi ne se gêne-t-il point. Tout en ayant son parti pris, et bien que par politique il penche vers la France, comme il fait durer le plaisir ! comme il tient en suspens ces deux humbles rivaux, acceptant leurs avances et leurs empressemens, se laissant aduler, se mettant aux enchères! Vrai chef-d’œuvre du protecteur qui nous en vaut un autre de son historien. M. Guizot semble avoir redoublé d’investigations et de soins daris une matière si délicate. On en juge au grand nombre de pièces inédites qu’il donne à cette occasion. Sans négliger la moindre maille du grand réseau diplomatique que Cromwell étendit sur l’Europe, et tout en exposant l’esprit et les caractères de ses traités avec la Hollande, avec le Portugal, avec le Danemark et particulièrement avec la Suède, c’est toujours aux négociations sans cesse interrompues et sans cesse renouées avec Paris et Madrid qu’il revient de préférence. Pour suivre dans tous ses détours un jeu si délié, pour distinguer par des touches si fines ces deux diplomaties, l’espagnole et la française, pour les mettre si bien en