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sur le ventre, se reposaient auprès de leurs lances réunies en faisceau. Des oiseaux de proie se balançaient sous le ciel gris; sur les monticules de sable formés par les tanières des viscackos (marmottes de la pampa), de petites chouettes, immobiles comme des sentinelles, clignaient de l’œil et enfonçaient leurs têtes rondes dans les plumes de leur cou. La steppe déserte ressemblait à un grand lac aux eaux vertes dont les rives se dérobaient aux regards.

Tout à coup une autruche se montra à l’horizon. Elle rasait l’herbe de ses courtes ailes, et courait au plus vite, comme le pétrel qui glisse sur les vagues en les effleurant de ses pieds palmés. Les Indiens se soulevèrent doucement en s’appuyant sur leurs mains. Le cou tendu, l’œil fixé sur l’autruche qui fuyait, ils cherchaient à découvrir quel ennemi poussait en avant, — et sans le savoir peut-être, — cet oiseau vigilant et timide. Bientôt un petit nuage de poussière, que la brise chassait dans le lointain comme une brume matinale, se montra distinctement. Le cacique jeta sur ses guerriers un regard rapide. Ceux-ci, comprenant la pensée de leur chef, sautèrent à cheval d’un bond en s’appuyant sur leurs longues lances, et formèrent aussitôt un escadron serré. La troupe des Puelches recula d’abord de manière à éviter d’être aperçue; puis, arrivée au pied d’une petite éminence, elle fit halte. Ces cavaliers gardaient un silence absolu. Tenant d’une main la triple courroie armée de boules à l’aide desquelles ils savent enlacer un ennemi à la distance de vingt pas, et de l’autre les lances ornées d’un faisceau de plumes d’autruche, ils laissaient pendre le long des flancs de leurs chevaux leurs jambes nues. Aucune émotion ne se trahissait sur les visages aplatis de ces sauvages à la peau rouge comme le cuivre qui sort des mines de Coquimbo, au Chili. Pareils à une volée de vautours qui se cachent sous la saillie d’un rocher et s’y embusquent en attendant leur proie, ils flairaient de loin le pillage.

Cependant à l’extrémité de l’horizon marchait vers eux une troupe de cavaliers qui formaient avec la horde des Puelches un contraste parfait. C’était une compagnie de soldats espagnols à la physionomie hâlée par l’air de la pampa et bronzée par le soleil, mais pleine d’intelligence et de vivacité. Ils avaient encore quelque chose de l’allure assurée des premiers conquérans du Nouveau-Monde, car en ce temps-là l’Espagne sentait à peine décroître sa colossale puissance. Les cavaliers espagnols s’avançaient donc en bon ordre, la lance appuyée sur l’étrier, la carabine à l’arçon de la selle; des cuirasses de peau de buffle couvraient leurs poitrines, et le sabre recourbé bat- tait le talon de leurs grandes bottes. Les uns chantaient à demi-voix des refrains andaloux, d’autres caressaient du revers de la main les chevaux avec lesquels ils avaient partagé les fatigues de plus d’une