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recommencer leur dispute, comme si la vraie richesse ne consistait pas dans la possession de tous les biens à la fois.

— Don José, répondit celle-ci, quand je songe que dans six mois peut-être je reverrai mes belles montagnes de Grenade et les tours vermeilles de l’Alhambra, la tête me tourne de joie... Ah! que ces plaines me fatiguent et m’ennuient !

— Elles me rappellent, à moi, les plaines qui bordent le Guadalquivir, entre San-Lùcar et Séville, répondit le jeune capitaine.

— Moins les beaux orangers des quintas, répliqua vivement la jeune fille.

— Doña Antonina, dit l’officier en baissant la voix, maudissez les pampas tant qu’il vous plaira; moi, je les aime, parce que j’y ai combattu souvent, et surtout parce que j’y ai rencontré la perle la plus précieuse des Amériques...

— Voilà un compliment qui ferait sourire les dames du faubourg de Triana à Séville, interrompit Antonina avec un sourire. Avançons un peu, s’il vous plaît; ne voyez-vous pas comme la tante Marta me fait les gros yeux, parce que nous sommes de trois pas en arrière ?

Tout en se rapprochant du groupe des voyageurs, don José se mit à fredonner ce refrain d’un vieux romance :

Si madre lo sabe,
Habrà cosas buenas !
Clavarà ventanas,
Cerrarà las puertas[1]!...

Puis, saluant la tante Marta avec une politesse empressée : — Señora, lui dit-il, veuillez mettre pied à terre une minute, et daignez permettre à votre très humble serviteur de resserrer un peu les sangles de votre monture. Nous sommes en campagne, très illustre dame, et, si nous faisions une mauvaise rencontre, vous seriez exposée à rouler sur l’herbe de la pampa, avec une selle si mal ajustée.

La duègne prit avec dignité la main que lui tendait le jeune capitaine pour l’aider à descendre. Celui-ci remit la selle d’aplomb, la serra fortement, aida de nouveau dame Marta à s’y rasseoir, après quoi il la salua en inclinant jusqu’à terre les plumes blanches qui ornaient son feutre gris. Dame Marta, remise en belle humeur par cette galanterie, se prit à trotter lestement à côté du capitaine don José, la tête haute, le visage sérieux; elle se rengorgeait fièrement, tout en agitant son éventail avec une certaine grâce maniérée. — Ma fille, dit-elle à Antonina qu’elle venait de rejoindre, c’est un gentil

  1. « Si maman le sait, — il se passera de belles choses! — Elle fera clouer les fenêtres, — elle fermera les portes à clé….. »