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cavalier que nous avons là pour commander notre escorte; on n’est pas plus galant.

Au moment où Doña Marta prononçait ces derniers mots, un rugissement terrible, qui semblait sortir de dessous terre, fit tressaillir les cavaliers espagnols; leurs chevaux se cabrèrent. C’était le cri strident et prolongé que fait entendre l’Indien de la pampa, lorsqu’il se jette dans la mêlée. Au même instant, la horde des Puelches se rua en colonne serrée sur la petite troupe de soldats espagnols.

Revenus d’une émotion passagère, les Espagnols déchargèrent leurs carabines à bout portant sur les poitrines nues des sauvages. Les armes à feu produisirent sur ceux-ci l’effet accoutumé; un bon nombre d’entre eux tomba pour ne plus se relever; les autres reculèrent précipitamment, puis chargèrent de nouveau, couchés sur leurs chevaux et poussant d’un élan furieux à travers les cuirasses la pointe acérée de leurs lances. Don José, qui s’était porté au premier rang, frappait d’estoc et de taille avec sa longue épée; mais au moment où l’arrière-garde, composée de marchands et de femmes, cherchait à se réfugier au centre de la compagnie, le cacique l’attaqua à l’improviste. Pareil au tigre qui choisit sa proie au milieu d’une troupe de gazelles, il fit sauter son cheval par-dessus les cadavres qui jonchaient le sol, enfourcha d’un bond la croupe du blanc coursier que montait Antonina, et, serrant la jeune fille dans ses bras vigoureux, il s’enfuit à travers la plaine.

— Au secours, don José! A nous, señor capitan! s’écria dame Marta; sauvez la niña!

Le cri perçant de la duègne fut entendu au milieu du désordre de la mêlée. Le vaillant capitaine, jetant à terre son épée, saisit une carabine, affermit sur sa tête le chapeau à grands bords et partit au galop, entraînant sur ses pas quelques-uns des siens. Le gros de la bande sauvage se retirait en masse vers le sud, tandis que le cacique fuyait seul dans une direction opposée.

— Ah ! Jésus ! disait Doña Marta en agitant son éventail d’une main convulsive, courez donc aussi, vous autres! Que faites-vous là ? Laisserez-vous ce sauvage emporter Antonina ?

— Si nous nous dispersons dans la plaine, répondirent les soldats, vous verrez revenir sur nous les païens qui fuient vers le sud... Et nos blessés, qui les protégera ?

— Et nous, disaient les marchands et les femmes, voulez-vous qu’on nous abandonne ici, sans défense ?

— Au diable cette arrière-garde de femmes et de poltrons ! murmuraient avec colère quelques soldats blessés; ces gens-là ont rompu nos rangs, et si nous sommes estropiés pour toute notre vie, c’est à eux que nous le devrons.