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le cacique vaincu, il y avait donc déjà dix sauvages prisonniers, résignés à recevoir le coup de la mort. Des clameurs de joie accueillirent le retour de la jeune fille et du vaillant capitaine. Doña Marta, qui n’avait cessé de faire entendre sa voix aux momens d’angoisse et durant le péril, essaya de pousser un cri de victoire; mais, suffoquée par l’émotion, elle se jeta dans les bras de sa nièce en versant un torrent de larmes. Ces deux femmes se tinrent quelque temps embrassées. Après les violentes secousses qu’elles venaient de ressentir, elles avaient besoin de sangloter et de pleurer.

— Commandant, dirent les soldats à don José, qu’allons-nous faire de ces brigands-là ?

Le jeune capitaine avait compris la pensée de ses cavaliers. Après une minute de réflexion : — Mes amis, leur dit-il, ces gens-là ne font jamais de quartier, je le sais; mais ce sont des sauvages, des païens; soyons plus généreux qu’eux, nous qui sommes des chrétiens. On les logera à la geôle de Buenos-Ayres, où ils ne tiendront pas grande place, et le gouverneur décidera de leur sort.

En faisant grâce de la vie aux prisonniers, don José cédait aux sentimens d’humanité qui sont le plus bel apanage des peuples civilisés. Qu’avait-il à craindre désormais de ces sauvages vaincus et sans armes ? Il voulait aussi épargner à Antonina et à sa tante le hideux spectacle d’une exécution militaire.

Peu à peu l’ordre se rétablit parmi la petite troupe si subitement attaquée. Les cadavres des Indiens tués dans la lutte furent abandonnés aux vautours. On se remit en marche au pas, avec une certaine solennité. Il n’y a rien de tel que le souvenir d’un danger récent pour mettre du sérieux dans les esprits. Ceux des soldats qui avaient perdu leurs chevaux durent monter en croupe derrière leurs camarades. Pour tout butin, les vainqueurs emportaient quelques lances enlevées aux Puelches ou abandonnées par eux dans l’action. Les blessés, la figure entourée d’un mouchoir, le bras en écharpe, la jambe débarrassée de la lourde botte et enveloppée de linges saignans, se consolaient de leurs souffrances par la pensée qu’ils portaient sur leurs corps les marques glorieuses d’un combat heureux.

Au milieu de ces cavaliers venus d’Europe pour soutenir à l’extrémité du Nouveau-Monde l’honneur de leur patrie, marchaient à pied, liés par des cordes, onze Indiens prisonniers que le sort de la guerre enlevait à leur pays natal. Le cacique, reconnaissable au bandeau d’argent qui retenait sur le front ses cheveux noirs et flottans, allait en avant, l’œil fixe, cherchant à surprendre quelque son lointain qui lui annonçât un retour offensif de la part de ses guerriers. Il laissait couler, sans y prendre garde, le sang de ses blessures sur l’herbe de la pampa, douce à ses pieds nus. Il semblait à la fois étourdi de son