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Le Comte, menaçant.

Misérable vieillard !

François.

Eh ! oui, sans doute, je suis un misérable vieillard,… un misérable vieillard qui a eu dans sa longue carrière plus d’une belle occasion de maudire l’existence et de jeter sa défroque sur la route, — mais qui n’en a jamais eu la pensée, monsieur, parce que, s’il a manqué de pain quelquefois, il n’a jamais manqué de cœur.

Le Comte.

Drôle !… Qui es-tu ? Qui t’a payé, encore une fois, pour me parler ainsi ? Mais tu n’es qu’un agent subalterne dans l’intrigue qui m’enveloppe,… ce n’est pas à toi que je m’en prendrai ;… j’irai jusqu’aux machinateurs de cette outrageante comédie ;… ils sauront qu’il en peut coûter cher de rire à mes dépens… Où est la maîtresse ?… Maintenant je veux la voir !…

François.

La voici, jeune homme. (La porte latérale s’ouvre ; mademoiselle de Kerdic paraît.)



Scène II.

Les mêmes, MADEMOISELLE DE KERDIC, s’arrêtant,
à peine entrée
.
Le Comte, d’un ton brusque.

Ah ! c’est bien… Madame, ou mademoiselle… (Il fait violemment deux pas vers elle, et s’arrête tout à coup, comme frappé de la distinction et de la dignité que révèlent les traits et la tenue de la veille ; il s’incline.)

Mademoiselle de Kerdic.

Que veut monsieur, François ?

François.

Mademoiselle, il veut se noyer.

Mademoiselle de Kerdic, d’un ton naturel et digne.

Qu’est-ce que c’est donc ? (Le comte les regarde tour à tour avec un mélange d’embarras et de surprise soupçonneuse.) Monsieur, une fois rentrée chez moi, j’espérais être à l’abri d’une persécution… vraiment inexplicable. J’ai beau rappeler mes souvenirs, je ne vous connais pas. Que me voulez-vous ?

Le Comte.

Mademoiselle, je ne puis concevoir… Il est impossible… (Il la regarde encore.)

Mademoiselle de Kerdic.

Votre extérieur, monsieur, semble annoncer un homme dont l’esprit est sain, et cependant…

Le Comte, très poli.

Ma conduite est aussi folle qu’inconvenante, n’est-il pas vrai ? Mais veuillez me croire sur parole, mademoiselle, les circonstances singulières dont je suis le jouet justifient ce qui vous paraît être le plus inexcusable dans mes procédés. — Il m’a suffi, au reste, de