Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/385

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vous voir en face un seul instant pour être assuré qu’une personne comme vous n’a jamais trempé dans une intrigue, — et pour regretter amèrement l’indiscrétion obstinée — dont je me suis rendu coupable envers vous.

Mademoiselle de Kerdic, souriant légèrement.

Je crois, en effet, qu’il vous a suffi de me voir en face pour éprouver un sincère regret de votre poursuite : bien des femmes, même de mon âge, monsieur, vous pardonneraient plus difficilement peut-être votre contrition d’à présent — que votre offense de tout à l’heure… Quant à moi, Dieu merci, je vous pardonne de grand cœur l’une et l’autre…

Le Comte.

Mademoiselle, vous me faites sérieusement injure, si vous croyez avoir été en butte à la galanterie banale d’un fat… Je suis, comme j’ai l’honneur de vous le dire, le jouet de circonstances vraiment extraordinaires au dernier point, et…

Mademoiselle de Kerdic.

Il suffit, monsieur : chacun a ses affaires. — Mais enfin, quel qu’en soit le motif, vous avez fait une course forcée ; voulez-vous vous reposer un peu ?

Le Comte.

Oh ! je me garderai bien de vous gêner davantage.

Mademoiselle de Kerdic.

Vous ne me gênez pas,… au contraire ; on aime à voir de près, quand on est rassuré, les objets de son effroi, et j’avoue que vous m’avez fait grand’peur dans ce bois ; restez donc,… à moins que les rôles ne soient changés, et que ce ne soit moi maintenant qui vous…

Le Comte, avec un geste poli.

Permettez-moi du moins de me présenter à vous plus régulièrement : je me nomme le comte Henri de Comminges.

Mademoiselle de Kerdic.

Asseyez-vous donc, monsieur de Comminges. (Elle lui montre un fauteuil près de la cheminée, et s’assoit de son côté. — François, depuis l’entrée de sa maîtresse, suit la conversation avec un intérêt souriant ; il conserve en général cette attitude et cette physionomie pendant toute la pièce ; seulement, chaque fois que ses services sont réclamés, il sort de son extase et devient sombre.) Mais nous n’avons plus de feu, François, on gèle ici, mon ami, tu entends ?

François, soucieux.

On gèle,… on gèle… (Il s’approche de la cheminée, et se courbe préalablement pour attiser le feu.) Qu’est-ce que vous direz donc quand vous aurez mon âge ?… Eh ! Seigneur, si vous étiez forcée d’allumer le feu pour les autres, vous ne gèleriez pas tant.

Mademoiselle de Kerdic, avec douceur.

Allons, tais-toi. (Au comte.) Vous n’êtes pas de ce pays, monsieur ?