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Le Comte.

Non, mademoiselle : j’habite Paris. Je n’étais même jamais venu en Bretagne.

François, agenouillé devant le feu.

Du bois vert, avec ça… Je vous l’avais bien dit qu’il ne serait jamais sec pour l’hiver, votre bois ;… mais, quand on est le maître, on a toujours raison, — et puis, après ça, on gèle,… eh ! Seigneur, voilà !

Mademoiselle de Kerdic, tranquillement.

Vous devenez terrible, François ! — Je vous demande pardon pour lui, monsieur de Comminges, c’est un vieux serviteur. (À François.) Voyons, ôte-toi de là… Je vais vous faire bon feu,… un peu de patience. (Elle se lève.)

Le Comte, se levant, sans se dérider encore.

Souffrez que je vous épargne ce soin, mademoiselle.

Mademoiselle de Kerdic.

Non, vraiment… Vous n’êtes pas habitué à ces détails de ménage…

Le Comte.

Je vous en prie… à la guerre comme à la guerre… (Il se met à genoux gravement et accommode le feu.)

Mademoiselle de Kerdic, assise.

Ainsi, monsieur, vous n’étiez jamais venu dans notre pays ? Puisque vous aviez le désir de visiter la Bretagne, permettez-moi de vous dire que vous avez mal choisi votre saison ; la Bretagne, en plein hiver, offre de faibles agrémens aux touristes.

Le Comte, toujours agenouillé.

Mon Dieu ! mademoiselle, je ne suis pas un touriste ; je n’ai pas choisi ma saison, et je n’éprouvais aucun désir de visiter la Bretagne… Vous avez des soufflets ? — Fort bien,… Pardon. — Non,… des circonstances mystérieuses, et qui ne sont pas sans une nuance de ridicule, m’ont seules déterminé à ce voyage, auquel j’étais d’autant plus loin de penser, que j’en méditais un beaucoup plus sérieux… et plus lointain.

Mademoiselle de Kerdic, simplement.

Dans le Nouveau-Monde ?

Le Comte, légèrement en se rasseyant.

Oui, dans un monde tout à fait nouveau… (Changeant de ton.) Mais je suis honteux de vous entretenir si longtemps de ce qui me concerne… Vous habitez, mademoiselle, un pays d’un aspect poétique… J’ai eu l’honneur de vous rencontrer, si je ne me trompe, dans un lieu que d’antiques légendes ont rendu populaire… Cette forêt de Brocelyande,… cette fontaine de Merlin, ont joué autrefois un grand rôle dans votre mythologie nationale.