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Mademoiselle de Kerdic.

Eh bien ! qu’y aurait-il à cela de surprenant, monsieur de Comminges ? Les annales de la féerie ne sont-elles point remplies de pareilles aventures ?… Je me flatte que vous avez conçu pour moi un peu d’affection… Vous savez qu’il a suffi en tout temps de l’amour intrépide d’un jeune chevalier pour rompre le charme qui voilait la beauté de la fée sous les rides de la vieille décrépite… Vous n’en êtes encore malheureusement qu’à l’affection, et c’est pourquoi je n’ai rajeuni qu’à moitié… Peut-être un sentiment plus vif amènerait une métamorphose plus complète.

Le Comte.

Qu’à cela ne tienne… Aussi bien cet étrange aveu brûle mes lèvres… Qui que vous soyez, mademoiselle, et il y a des instans où ma tête s’égare à sonder ce mystère ;… qui que vous soyez, je n’ose dire que je vous aime… C’est un mot que j’ai trop profané ;… mais jamais femme ne m’inspira rien qui approche du respect profond… et passionné dont votre présence, dont votre langage, dont votre regard me pénètrent !… Je ne vous aime pas,… je suis près de vous adorer… Oui,… pour cette seule soirée de simplicité, de calme, de vérité que je vous ai due,… pour ce doux attendrissement dont vous avez rafraîchi mes yeux,… je voudrais vous dévouer toute mon âme retrouvée,… je voudrais,… si ce n’était pas de l’égoïsme encore,… enchaîner à jamais ma vie à vos côtés,… non,… à vos pieds !

Mademoiselle de Kerdic, avec émotion et dignité, regardant en face.

Est-ce vrai, monsieur de Comminges ?

Le Comte.

Sur mon honneur, c’est la vérité.

Mademoiselle de Kerdic.

Eh bien !… (Elle le regarde avec une sérénité souriante.) Eh bien !… je sens que le charme fatal est rompu au dedans de moi ;… mais j’ai oublié les paroles sacramentelles qui doivent rendre le miracle visible aux yeux de tous… Il faut que je consulte mon grimoire… (Elle lui sourit encore et disparaît par la porte latérale.)



Scène XI.

LE COMTE, seul ; puis FRANÇOIS.
Le Comte, stupéfait.

Quelle est cette femme ? Mon cerveau est troublé… J’ai eu trop de fatigues… trop d’émotions ;… je suis halluciné… je suis visionnaire… Voyons, essayons de penser un peu de sang-froid. — Il y a là quelque supercherie… Mais non ! une telle femme ne peut être une aventurière… une intrigante ;… cela est plus absurde à supposer que tout le reste… Mais au fait ! il n’y a ici de miracle que dans ma pauvre