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les provinces turques limitrophes de la Grèce vient malheureusement d’être suivi d’une rupture complète entre le divan et le cabinet d’Athènes. C’est là le plus exact résumé de la crise où nous sommes dans ses élémens les plus essentiels et les plus actuels.

Quant à la marche des événemens de la guerre, on ne saurait s’arrêter à tous les bruits qui sont l’aliment des conversations de bourse et des spéculations. Un jour ce sont des vaisseaux français et anglais qui ont été détruits, un autre jour c’est une victoire décisive de l’armée russe sur le Danube et la destruction des Turcs, puis c’est un général français qui occupe Athènes, à la tête d’une petite armée. Dans ces nouvelles, qui peuvent au reste devenir à la rigueur des réalités, qu’y a-t-il le plus souvent ? Un bruit que la crédulité propage, que chacun interprète et commente selon ses vues. Dans le fait, l’escadre anglaise avance aujourd’hui dans la mer Baltique vers la Russie, qui se replie sur elle-même et a quitté l’ile d’Aland. Un vaisseau français vient de rejoindre la flotte britannique, et d’autres suivront sans nul doute. Ainsi les forces sont en présence, il n’y a entre elles que l’obstacle naturel des glaces, obstacle lui-même près de disparaître. L’amiral Napier disait récemment aux hommes de son escadre : « Si nous rencontrons les vaisseaux russes, vous savez comment il faut se conduire ; si nous ne les rencontrons pas, il faudra les aller chercher là où ils sont. » Voilà la situation dans la Baltique ! En Orient, le fait le plus caractéristique est le passage des troupes russes sur la rive droite du Danube. L’armée russe a franchi le fleuve sur trois points à la fois, à Ibraïla, à Galatz et à Ismaïl ; elle a occupé la Dobroutscha, abandonnée par les Turcs, qui ont reporté leur résistance vers ce qu’on nomme le rempart de Trajan, au point le plus resserré entre le Danube et la Mer-Noire. Si l’armée russe n’a eu d’autre but que de régulariser sa position stratégique, la lutte peut être encore suspendue ; si elle avance pour tenter une marche hardie sur la Bulgarie, il n’est point douteux qu’un choc décisif est imminent. En même temps les flottes alliées rentraient dans la Mer-Noire soit pour appuyer les opérations de l’armée turque sur le Danube, soit pour entreprendre elles-mêmes des opérations directes, et tandis que ces mouvemens se poursuivent, les forces de terre des deux puissances alliées de la Turquie se pressent vers l’Orient, où elles vont bientôt se trouver réunies.

Les faits se précipitent donc aujourd’hui, et c’est dans ces conditions extrêmes, après que toutes les délibérations régulières ont épuisé leurs ressources, que semble être venue une dernière proposition du tsar, portée à Berlin par le duc de Mecklembourg-Strelitz. L’empereur Nicolas offrait d’évacuer les principautés à la condition d’une complète émancipation des chrétiens orientaux, consacrée par un traité solennel. Il n’y avait qu’un inconvénient, c’est que c’était toujours la même proposition que l’Europe a déjà repoussée sous toutes les formes comme incompatible avec l’indépendance de l’empire ottoman. Cette amélioration du sort des chrétiens, les puissances européennes ne prétendent l’obtenir que de l’autorité elle-même du sultan, et si elles ont le droit de l’obtenir, de la placer en quelque sorte sous leur sauvegarde, c’est qu’elles offrent au sultan la garantie effective et armée de l’indépendance et de l’intégrité de son empire. L’empereur Nicolas en outre