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évitait habilement des difficultés qui se sont développées et que lui-même a fait naître. Il éludait la question du renouvellement des traités entre la Turquie et la Russie, qui pouvait être douteuse avant la guerre, qui ne l’est plus aujourd’hui. Il éludait la question du renouvellement de la convention du 13 juillet 1841, qu’il a toujours refusé d’aborder à Vienne, sous le spécieux prétexte que cette convention était applicable en temps de guerre comme en temps de paix. Singulière manière de trancher la difficulté, qui consiste à fermer le Pont-Euxin aux vaisseaux de l’Europe, même au moment où la Russie ouvre les hostilités contre la Turquie, tandis que la pensée qui prévaudra sans nul doute dans les conseils de l’Occident, ce sera d’instituer la liberté de la Mer-Noire pendant la paix comme pendant la guerre ! On voit ce qu’avaient de sérieux les propositions russes que le duc de Mecklembourg-Strelitz portait récemment à Berlin. Dans le fond, elles n’avaient qu’un but, c’était de chercher encore à séparer l’Allemagne des puissances occidentales par des concessions plus spécieuses que réelles, c’était de fournir surtout un aliment aux tergiversations de la Prusse et d’offrir un prétexte à son isolement. La politique russe n’a point même réussi en cela, puisqu’un nouveau protocole vient d’être signé le 9 avril à Vienne par l’Angleterre, la France, l’Autriche et la Prusse. Encore une fois, les quatre puissances font de l’indépendance et de l’intégrité de l’empire ottoman la condition de l’équilibre européen, elles font de l’évacuation du territoire turc la condition préalable de toute pacification, et elles s’engagent à ne se prêter à aucun arrangement direct et isolé avec la Russie. Il ne faudrait ni exagérer ni diminuer l’importance de cette nouvelle œuvre diplomatique. Ce n’est point un traité d’alliance réglant la part d’action et le concours des quatre pays ; c’est plutôt une profession de foi politique commune sur les causes de cette crise, sur le caractère des agressions de la Russie, sur le but de la guerre ; c’est une sanction nouvelle donnée par l’Europe au droit que vont soutenir l’Angleterre et la France, c’est surtout un lien resserré ou du moins maintenu sur le terrain des intérêts généraux, au moment où la lutte est engagée, entre les puissances belligérantes de l’Occident et l’Allemagne, représentée par l’Autriche et la Prusse.

Or, pour quiconque se rend un peu compte des conditions actuelles de l’Europe, c’est bien évidemment en Allemagne qu’est aujourd’hui le nœud de la question. C’est l’Allemagne qui est l’arbitre, non de la paix ou de la guerre, mais de cette autre question qui n’est pas moins grave : — Quelles seront les proportions de la lutte ? quelle sera sa durée ? — Il dépend de l’Allemagne de donner au droit européen une puissance tellement irrésistible, qu’il ne laisse point d’issue à l’ambition russe. Il tient à elle, par l’accumulation des forces et des résistances, de rendre la guerre courte et la paix décisive. C’est ce qui justifie l’intérêt mêlé d’anxiété qui s’attache aux résolutions des puissances allemandes. De là vient qu’on se demande même encore aujourd’hui, après la signature du dernier protocole du 9 avril : — Que feront la Prusse et l’Autriche ? — L’impatience de l’opinion publique en Angleterre et en France est certes naturelle. Il faut pourtant reconnaître ce qui tient à Ia situation même de l’Allemagne dans les lenteurs, les réserves, les obscurités de sa politique.