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merveilleusement tempérée par la douceur et la délicatesse des contours, par la finesse et la transparence de son teint. Ses yeux étaient très beaux; mais le charme particulier de son visage, qui en relevait encore tous les traits, c’était la gaieté, la vivacité, l’entrain; c’était l’esprit. Non-seulement il se faisait jour par des regards pleins de feu, mais il animait aussi sa voix, ses gestes, jusqu’à ses moindres mouvemens, et répandait sur toute sa personne une grâce irrésistible.

« Les agrémens de Mlle de Rohan n’avaient pas seuls décidé le choix du duc de Luynes. Mlle de Rohan appartenait à une maison aussi connue par sa propre illustration que fameuse par ses alliances magnifiques, et qui avait eu l’honneur de donner une grand’mère à Henri IV. A l’occasion de ce mariage, qui mettait le comble à la fortune de son favori, Louis XIII accorda de nouvelles grâces au jeune couple. Le duc de Luynes, déjà grand-veneur, fut créé connétable; sa fiancée, admise à s’asseoir, la veille de ses noces, devant leurs majestés (ce qu’on appelait le tabouret de grâce), fut nommée, à dix-sept ans, surintendante de la maison de la reine. « La duchesse de Luynes, qui était fort bien avec son mari, dit Mme de Motteville, ne fut pas longtemps sans être favorite d’Anne d’Autriche, qui véritablement eut de la peine à souffrir d’abord son amitié à cause de l’aversion qu’elle avait pour le duc. » Telle était, au bout de peu de temps, la familiarité de la reine avec sa jeune compagne, « qu’étant devenue grosse, ou croyant l’être, elle se blessa pour avoir trop couru après la connétable... d’où l’on peut juger que, si cette cour manquait de prudence, elle ne manquait pas de joie, puisque la jeunesse et la beauté y avaient la souveraine autorité.... » Mais la reine-mère « ayant réussi à brouiller le mari avec la femme, ajoute encore Mme de Motteville, toute la consolation de la reine était la part que la duchesse de Luynes, qui était , remariée avec le duc de Chevreuse, prenait à ses chagrins, qu’elle tâchait d’adoucir par tous les divertissemens qu’elle lui proposait, lui communiquant autant qu’elle pouvait son humeur galante et enjouée, pour faire servir les choses les plus sérieuses et de la plus grande conséquence de matière à leur gaieté et à leur plaisanterie : a giovine cuor tutto è ginoco. »

« Mme de Motteville ne paraît pas vouloir douter de la parfaite innocence des divertissemens où la reine se laissait entraîner par Mme de Chevreuse, afin de se distraire un peu de l’ennui que lui causait l’abandon du roi. Le témoignage de Mme de Motteville est toujours, sous ce rapport, favorable à la reine, qui « ne comprenait pas, dit-elle, que la belle conversation, qui s’appelle d’ordinaire l’honnête galanterie, où on ne prend aucun engagement particulier, pût jamais être blâmable. » Cependant Mme de Motteville, toujours véridique, ne dissimule pas non plus ce qu’elle sait être la vérité. « Je dois dire néanmoins qu’elle (la reine) a été aimée, et que, malgré le respect que sa majesté inspire, sa beauté n’a pas manqué de toucher des cœurs qui ont fait paraître leurs passions... Le duc de Buckingham fut le seul qui eut l’audace d’attaquer son cœur. »

« En ce qui regarde Mme de Chevreuse, Mme de Motteville est un peu plus sévère et plus explicite. Avant de s’attaquer au cœur de la reine, le duc de Buckingham s’était complètement rendu maître de celui de la duchesse de Chevreuse, devenue plus libre dans ses allures depuis qu’elle avait épousé