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son second mari, dont l’humeur paraît n’avoir jamais cessé d’être fort accommodante en ces matières. Ainsi aimée de Buckingham, et demeurée toujours éprise de lui, jusqu’à s’être trouvée mal devant toute la cour quand elle apprit sa mort, Mme de Chevreuse n’en mit pas moins sa principale application à gagner à son amant les faveurs de la reine. Écoutons encore là-dessus Mme de Motteville : « Elle (la reine) avait, en la personne de la duchesse de Chevreuse, une favorite qui se laissait entièrement occuper par ces vains amusemens, et la reine, par ses conseils, n’avait pu éviter, malgré la pureté de son âme, de se plaire aux agrémens de cette passion, dont elle recevait en elle-même quelque légère complaisance qui flattait sa gloire plus qu’elle ne choquait sa vertu... Mme de Chevreuse m’a dit depuis elle-même, me contant les égaremens de sa jeunesse, qu’elle forçait la reine de penser à Buckingham, lui parlant toujours de lui, et lui ôtant le scrupule qu’elle en avait, par la raison du dépit qu’elle ferait au cardinal de Richelieu….. » On le voit, Mme de Chevreuse se souciait peu de prêter au bruit qui courait sur son compte dans toutes les ruelles du temps, et d’après lequel, suivant le dire de Monsieur, frère du roi, « elle avait été mise auprès de la reine de France, afin de lui donner plus de moyens d’avoir des enfans. »

« Laissons parler maintenant le cardinal de Retz, sans oublier toutefois que ses mémoires, fruit des loisirs de sa longue disgrâce, ont été écrits bien après la fin même de la fronde. Le célèbre coadjuteur, amant de Mme de Chevreuse, n’a personnellement connu sa mère que fort tard. Il était trop jeune pour l’avoir vue avant l’exil à Nancy, aux jours de sa grande faveur et dan - tout l’éclat de sa suprême beauté. Voici ce qu’il dit de Mme de Chevreuse, devenue l’une des conseillères de la fronde : «... Je n’ai jamais vu qu’elle en qui la vivacité suppléât au jugement; elle lui donnoit même assez souvent des ouvertures si brillantes, qu’elles paraissoient comme des éclairs, et si sages, qu’elles n’eussent pas été désavouées par les plus grands hommes de tous les siècles. Ce mérite toutefois ne fut que d’occasion. Si elle fût venue dans un siècle où il n’y eût point eu d’affaires, elle n’eût pas seulement imaginé qu’il y en pût avoir. Si le prieur des Chartreux lui eût plu, elle eût été solitaire de bonne foi. M, de Lorraine, qui s’y attacha, la jeta dans les affaires; le duc de Buckingham et le comte de Rolland l’y entretinrent; M. de Châteauneuf l’y amusa. Elle s’y abandonna parce qu’elle s’abandonnoit à tout ce qui plaisoit à celui qu’elle aimoit. Elle aimoit sans choix, et purement parce qu’il falloit qu’elle aimât quelqu’un. Il n’étoit pas difficile de lui donner de partie faite un amant; mais dès qu’elle l’avoit pris, elle l’aimoit uniquement et fidèlement. Elle nous a avoué, à Mme de Rhodes et à moi, que, par un caprice, se disoit-elle, de la fortune, elle n’avoit jamais aimé le mieux ce qu’elle avoit estimé le plus, à la réserve toutefois du pauvre Buckingham. Son dévouement à sa passion, que l’on pouvoit dire éternelle, quoiqu’elle changeât d’objet, n’empéchoit pas qu’une mouche lui donnoit quelquefois des distractions; mais elle en revenoit toujours avec des emportemens qui les faisoient trouver agréables. Jamais personne n’a fait moins d’attention sur les périls, et jamais femme n’a eu plus de mépris pour les scrupules et pour les devoirs : elle ne connoissoit que celui de plaire à son amant. »

« Rien de plus frappant de ressemblance, et au fond de plus exact que ce