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portrait de Mme de Chevreuse, tracé de main de maître par le cardinal de Retz. Il nous faut y relever néanmoins quelques légères erreurs. Sans prétendre donner ici la trop longue énumération des amans de Mme de Chevreuse, nous sommes tenu de faire observer que le cardinal de Retz, trompé sur des faits qu’il n’a sus que par ouï-dire, a tort de mettre M. de Lorraine en tête de sa liste : Charles IV n’a point occupé ce rang avantageux. La vérité veut que nous confessions qu’il est venu après le duc de Buckingham, après lord Holland, après Chalais, et seulement un peu avant le président de Châteauneuf. Il n’est pas non plus parfaitement vrai de dire que le duc de Lorraine jeta Mme de Chevreuse dans les affaires; ce fut elle qui engagea M. de Lorraine dans les affaires de la France.

« Mme de Chevreuse n’en était pas d’ailleurs à ses débuts politiques. Richelieu, qui lui offrit, dit-on, des hommages trop ouvertement dédaignés, et la courtisa un peu avant de la beaucoup persécuter, Richelieu lui-même l’avait employée, non sans succès, à d’importantes et délicates négociations d’état. Au mois de juin 1625, il l’avait chargée d’aller avec son mari conduire jusqu’à Londres la princesse Henriette de France. Vers la fin de cette même année 1625 (c’est le cardinal qui le raconte dans ses Mémoires), Bautru était parti pour l’Angleterre comme une sorte d’ambassadeur du duc et surtout de la duchesse de Chevreuse. Il devait employer le « crédit particulier qu’ils y avaient tous deux » pour décider Buckingham à s’entendre avec la France, sans venir toutefois lui-même à la cour, où naturellement le roi ne se souciait plus de le recevoir. L’esprit de Bautru leva sans doute beaucoup de difficultés; mais les missives engageantes de Mme de Chevreuse n’y gâtèrent rien non plus. La preuve en fut que Bautru revint bientôt après en France, ramenant avec lui deux ambassadeurs, Rolland et Carleton, dont un au moins (Rolland) était le serviteur déclaré de Mme de Chevreuse; et ce fut grâce à la présence de ces deux ambassadeurs anglais à Paris que Richelieu put signer avec les protestans de La Rochelle le traité du 5 février 1626, traité éphémère, il est vrai, et violé peu après des deux parts, mais qui, pour le moment, remplissait suffisamment les vues du cardinal.

« Après avoir servi par occasion les intérêts de son ennemi. Mme de Chevreuse s’était tout à coup, avec sa mobilité habituelle, ardemment retournée contre lui. Cette fois elle avait le plaisir de satisfaire en même temps son aversion contre Richelieu, son amitié pour la reine sa maîtresse, et sa passion récente pour le beau et galant Chalais. Monsieur était le chef secret de cette cabale. Pour la reine, qui n’avait pas eu d’enfant du roi, la principale affaire était d’empêcher le mariage de Monsieur avec Mme de Montpensier. Monsieur était bien aise de continuer la vie dissipée qu’il menait, et s’imaginait en même temps qu’il forcerait à compter avec sa personne en se refusant à l’union qu’on lui proposait. Chalais, fier de sa familiarité avec Louis XIII, rêvait de jouer un plus grand rôle. Tous et chacun se vantaient de ruiner de ce coup la puissance de Richelieu, et parlaient de se débarrasser au besoin de sa personne. Quelle était au vrai la portée de toutes ces menées ? On ne l’a jamais parfaitement su. Une seule chose est certaine : tramé entre tant de jeunes gens et de belles dames, par forme d’intermède à leurs conversations d’amour, ce complot fut dénoncé par jalousie.