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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/470

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Cette fois, le vivant triomphait du mort, chose rare dans le monde des lettres et des beaux-arts, et le chef-d’œuvre lancé aux nues allait commencer son tour d’Europe.

En attendant, Rossini reprenait le chemin de Naples, où il arrivait au commencement du mois de janvier 1817. La première figure qu’aperçut le maestro en débarquant dans la cour des diligences fut celle de Barbaja. — M’apportes-tu quelque chose ? demanda l’impresario pendant qu’on déchargeait les malles et les sacs de nuit.

— Oui, certes, dit Rossini, je t’apporte la bénédiction du saint père.

Barbaja fit la grimace.

— J’ai en outre pour toi, continua le maestro, un plan de Rome, le portrait du cardinal ministre et mon buste !

— Est-ce là tout ?

— J’oubliais de te parler d’une nouvelle partition. Mon opéra s’appelle Otello ou le More de Venise.

— Beau sujet ! As-tu besoin d’argent ?

— Non, dit le maestro tout en réglant ses comptes avec le commissionnaire chargé de porter ses bagages à l’hôtel.

— Ah çà ! tu loges chez moi ?

— Non pas.

— Et l’opéra ?

— Je le tiens dès demain à ta disposition contre une somme de cinq cents ducats.

— Cinq cents ducats ! Tu perds la tête ?

— Libre à toi de refuser ; il y en a d’autres à Milan et à Venise qui ne se feront pas tirer l’oreille pour le prendre.

— J’en offre quatre cents.

— Apprends, mon maître, qu’on ne marchande plus avec Rossini.

Et là-dessus nos deux amis se séparèrent.


III. — OTELLO. — NOZZARI. — INFLUENCES CLIMATÉRIQUES.

Cependant San-Carlo, comme le phénix de la fable, venait de renaître de ses propres cendres, et le 12 janvier 1817, à la grande joie du roi Ferdinand II, aux applaudissemens de Naples tout entière, l’immense salle rouvrit ses portes, inaugurant par Élisabeth les temps nouveaux. Ce fut néanmoins au théâtre del Fondo, dont Barbaja dirigeait aussi l’entreprise, qu’eut lieu la première représentation d’Otello. Rossini avait écrit la partie du More pour Garcia ; mais ce chanteur ayant quitté tout à coup Naples pour Milan, on confia son rôle à Nozzari, obscur figurant qui, des rangs subalternes où jusqu’alors il était resté confondu, devait en quelques heures passer à la célébrité.