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Ce Nozzari était tout simplement un lazzarone du quai Santa-Lucia, avec lequel, un jour de flânerie, Rossini avait lié conversation. Charmé de la bonne mine de ce garçon et du tour original de son esprit, l’auteur de l’Italiana in Algeri l’invita à venir le voir à son hôtel. A cet appel rempli de bienveillance, notre lazzarone répondit de la meilleure grâce. Il vint une fois, puis deux, puis trois et quatre, si bien que Rossini lui proposa un matin de le prendre à son service, sur quoi le pauvre diable se mit à rouler son bonnet de laine entre ses doigts de l’air d’un homme qui voudrait ne pas refuser, mais auquel il en coûterait énormément de dire oui. Le maestro, voyant cet embarras, lui demanda si par hasard il se sentait blessé de la proposition ?

— Pas le moins du monde, répondit alors l’homme du quai Santa-Lucia, tout au contraire ; mais à vous parler franchement, je crois, tenez, que je ne vaudrais rien pour cet emploi. Nous autres lazzaroni, vous le savez, la besogne ne nous va guère, et quant à moi, j’ai toujours passé pour le plus paresseux de mes camarades.

— Drôle ! Et cette existence ne te fait pas de honte, tu ne souhaiterais point de l’échanger contre une meilleure ?

— Dame ! c’est selon…

— Laquelle alors ?

— J’aimerais assez entrer au théâtre et devenir, par exemple, un grand chanteur !

— Avec cent mille francs d’appointemens ? chose en effet très facile, et pour laquelle, avec la belle vocation que tu possèdes, il ne te manque plus que deux conditions, à savoir, du talent et une voix !

— Soit ! qu’à cela ne tienne.

— Est-ce que par hasard tu chanterais, coquin ? s’écria Rossini, émerveillé de tant d’aplomb ; en ce cas, ouvre la bouche, et qu’on t’entende !

Et le maestro se mit au piano pour l’accompagner.

— Voyons, que vas-tu me débiter, mauvais plaisant ?

— Un morceau que vous reconnaîtrez sans doute, la cavatine de Lindoro dans l’Italiana.

Et le lazzarone, d’une voix de ténor ferme et splendide, entonna les premières mesures de Languir per una bella. Rossini n’en pouvait croire ses oreilles, c’était une vigueur d’accentuation, une bravoure dans l’attaque, une limpidité de timbre ! — Bravo, mon garçon, s’écria le maestro sans s’interrompre, va toujours, ne te gêne pas, mais c’est un véritable soufflet d’orgue que cette poitrine !

Et le pauvre diable, encouragé par l’éloge, mettait dehors toute sa voix, dont l’éclatante vibration faisait trembler les vitres.

— Quelques fausses notes par-ci par-là, peu importe ; émets le