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son. Ah ! ah ! nous enlevons aussi le trille ? Bravissimo, signer David !î

À dater de ce jour, l’homme du quai Santa-Lucia vint tous les matins prendre chez Rossini sa leçon de chant. Au bout de six semaines, il lisait à livre ouvert ; au bout de deux mois, son illustre patron lui donnait des bottes, un chapeau, des vêtemens sortables, et le présentait sous sa nouvelle forme à Barbaja, qui l’engageait, comme choriste, aux appointemens de mille francs. Le lazzarone de la veille, ayant mis le pied sur la scène, n’attendait qu’une occasion de se révéler au public, lorsque le rôle d’Otello lui échut en partage.

À la nouvelle qu’un des leurs devait débuter dans un premier rôle, tous les lazzaroni de Naples s’étaient donné rendez-vous au paradis de San-Carlo, transformé pour la circonstance en une véritable cour des Miracles, et bien avant le lever du rideau les frères et amis se racontaient l’histoire de leur ancien collègue. — Si je le connais ! disait un orateur auquel son entourage semblait témoigner une certaine déférence, et qu’à la vigueur de sa musculature, non moins qu’à l’autorité de son discours, on pouvait prendre pour le patriarche de la corporation, — si je le connais ! nous avons pendant quatre ans dormi sur la même dalle, et son père était mon meilleur ami. Un lazzarone pur sang celui-là ! il s’appelait Tito Manlio ; mais nous le nommions entre nous Scaramuccia ; il imitait le chant des oiseaux comme personne, et quand il s’agissait d’égayer la compagnie, il aboyait, il miaulait, que vous auriez cru entendre tous les chiens et chats du quartier.

— Et sa mère, demanda l’un des camarades, en savez-vous quelque chose ?

— Sa mère s’appelait Fiametta et vendait des pastèques. Corpo di Bacco ! quelle taille et quels yeux ! Je l’ai aussi connue, ajouta le chef de bande en clignant de l’œil et fredonnant une barcarolle.

— C’est qu’on raconte, reprit un troisième, que depuis qu’il a du talent et des habits neufs il est devenu fier et rougit de ses anciens camarades.

— Calomnie ! pure calomnie ! s’écria l’orateur ; tenez, pas plus tard qu’hier, je l’ai rencontré comme il sortait du théâtre : — Buon giorno, capitano, m’a-t-il dit en m’abordant ; veux-tu que nous déjeunions ensemble ? Et bras dessus bras dessous nous sommes allés à la trattoria, où nous avons mangé quinze douzaines d’huîtres et vidé six bouteilles d’asti spumante.

— Vrai ! il a fait cela ?

— Et bien mieux encore. Au moment de nous séparer, il m’a demandé, mais avec toute la délicatesse convenable, si par hasard je n’avais pas besoin d’argent, et comme j’allais répondre à cette ouverture, j’ai senti la main du fils de Tito Manlio qui glissait